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si nous ne nous laisserons pas entraîner à en dépasser les limites. Dans ce cas, elle semble décidée à ne pas nous suivre, et c’est pour nous un avertissement qui n’est pas négligeable. En Autriche-Hongrie il faut distinguer : les journaux autrichiens, qui suivent assez volontiers les suggestions allemandes, ont été durs pour M. Delcassé ; mais les journaux hongrois ont été bienveillans, ce qui fait la contre-partie. La presse russe est circonspecte, mais sympathique. En Allemagne, la mauvaise humeur est la note dominante. Quelques journaux parlent de M. Delcassé avec violence, avec colère, avec brutalité ; l’un d’eux l’appelle le plus grand ennemi de l’Allemagne et tous se préoccupent de l’éventualité de son retour au pouvoir. Nous n’en sommes pas encore là ; mais les journaux allemands devraient comprendre qu’à force d’attaquer, ils grandissent M. Delcassé. Ne serait-il pas plus sage de leur part de ne pas faire autant de bruit d’un discours dont ils augmentent l’importance par la manière dont ils en parlent, et qui en perdrait notablement s’ils en parlaient moins.

L’un d’eux toutefois, le Berliner Tageblatt, donne une note plus juste que les autres : il fait retomber sur le gouvernement impérial la responsabilité du succès de M. Delcassé. « Pour qui a suivi l’opinion en France, c’est, dit-il, autre chose que l’habileté et le talent de l’orateur qui a assuré son succès. Le profond sentiment de mécontentement que fait naître, même chez les Français les plus pacifiques, la malheureuse politique de MM. de Bülow et de Holstein, qui a été suivie de l’inutile sacrifice de M. Delcassé, existe toujours parce que rien de pratique n’a été fait pour, arriver à une franche explication. De temps à autre, il semblait que le gouvernement allemand fût prêt à un entretien au sujet du Maroc ; mais, de même que notre politique intérieure ne connaît que des contradictions et du décousu, de même le gouvernement, dans la question marocaine, retirait toujours la main tendue. Le succès d’hier de M. Delcassé peut n’être que le triomphe d’un jour ; mais le courant d’opinion qui l’a rendu possible sera plus durable. » Nous n’avons pas à juger ici la politique intérieure de l’Allemagne. Est-elle aussi contradictoire et décousue que le dit le Berliner Tageblatt ? Peu nous importe ; nous n’avons à nous occuper que de sa politique extérieure, et seulement en ce qui nous concerne. À ce point de vue, le Berliner Tageblatt a grandement raison. On a fini par se lasser en Fiance de chercher à deviner le secret indéchiffrable de cette politique, et on commence à croire qu’il vaut mieux se conduire comme s’il n’y avait pas de secret du tout. Il fut un temps où, avec Bismarck, la politique allemande était