Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rude, mais claire et nette, nous allions dire loyale. Elle a aujourd’hui un autre caractère ; elle est ondoyante et diverse ; il est de plus en plus difficile de savoir ce qu’elle veut et à quoi elle tend. De là le malentendu qui s’est produit au moment de la chute de M. Delcassé. M. Delcassé a dit à la Chambre qu’elle avait été trompée. Peut-être s’est-elle trompée elle-même. Quoi qu’il en soit, le sacrifice de M. Delcassé a été pour elle une chose infiniment pénible ; elle s’y est résignée parce qu’elle a cru qu’en jetant Décius dans le gouffre, il allait se refermer. Si, à ce moment, le gouvernement impérial avait joué franc jeu avec nous ; si, prenant acte d’une bonne volonté dont nous venions de lui donner un témoignage si manifeste, il avait consenti à réaliser un accord qui aurait été facile ; si enfin il s’était expliqué sur ses vues et avait montré quelques ménagemens pour les nôtres, il est à croire que M. Delcassé n’aurait pas songé de longtemps à remonter à la tribune, ou que, s’il l’avait fait, il n’y aurait pas été accueilli comme il l’a été le 24 janvier. Mais, comme le dit fort bien le Berliner Tageblatt, les Français les plus pacifiques, après avoir renversé M. Delcassé, ont eu la déception de constater qu’ils s’étaient infligé à eux-mêmes une humiliation inutile, chose qu’on oublie difficilement. M. de Bülow a dit que, dans deux ou trois circonstances, l’Allemagne avait été près de la guerre : il en est une au moins où l’opinion, en France, a cru la paix définitivement assurée. Le gouvernement impérial n’a pas voulu qu’il en fût ainsi. Pourquoi ? on se le demande encore. A partir de ce moment, il a été clair pour tous les yeux qu’entre l’Allemagne et la France, l’obstacle n’était pas M. Delcassé, puisque, M. Delcassé une fois disparu, il était toujours resté inaperçu mais sensible. De pareilles leçons portent naturellement leurs fruits.

Le discours de M. Delcassé, quelque brillant, quelque important qu’il ait été, est intervenu comme un hors-d’œuvre dans la discussion des interpellations marocaines. Il ne s’adressait pas au gouvernement, mais à M. Jaurès et, à travers ce dernier, à l’opinion dans le monde entier. On pouvait sans doute le rattacher à la question du Maroc, mais il s’élevait au-dessus d’elle, à une hauteur d’où on découvrait des horizons beaucoup plus étendus. Toutefois M. Delcassé a fait connaître son sentiment sur la situation actuelle. Nous devons, d’après lui, persévérer dans sa politique, qui consistait à régler seuls, ou plutôt avec l’Espagne seule, les difficultés marocaines. C’est pour cela que nous avons eu tort, suivant lui, d’aller à Algésiras, d’associer en quelque sorte toutes les puissances à notre œuvre, et d’accepter