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un mandat dont nous n’avions nul besoin. Au surplus, ce qui est fait est fait, et M. Delcassé consent à s’enfermer dans l’Acte d’Algésiras, dont il connaît pourtant, dit-il, tous les défauts ; mais il rappelle que, en ce qui concerne la police, cet acte n’a été conclu que pour une période de cinq ans et que cette période est déjà très avancée. Qu’arrivera-t-il quand elle aura atteint son terme ? M. Delcassé entend sans doute que nous reprenions alors toute notre liberté : il n’a pas dit ce que nous devrions en faire. M. Jaurès a été plus explicite : il reprend, lui, sa liberté dès aujourd’hui, mais c’est pour battre en retraite et rendre le Maroc à lui-même. Nous éprouvons beaucoup de soucis au sujet de cette affaire du Maroc ; mais M. Jaurès en éprouve une véritable horreur, et il propose de nous en aller purement et simplement sans regarder derrière nous. On ne reprochera pas à sa thèse de n’être pas parfaitement claire. Avons-nous besoin de dire que nous n’en acceptons pas les conclusions ? Nous sommes d’accord avec M. Ribot pour les repousser avec énergie. Entre temps, toutefois, M. Jaurès a fait quelques critiques, et il a adressé au gouvernement quelques questions qui ne sont pas sans intérêt. Tous les gouvernemens qui se sont succédé, — nous ne parlons pas seulement de celui d’aujourd’hui, — ont préconisé une politique devant la Chambre, après quoi ils en ont tous plus ou moins dévié et en ont suivi une autre. Les circonstances ont été sans doute plus fortes que leur volonté. Lorsque a eu lieu la dernière discussion sur le Maroc, — c’était, croyons-nous, au mois de novembre dernier, — il avait été entendu que nous ne nous mêlerions en rien des affaires intérieures du pays : M. Jaurès n’estime pas que cette promesse ait été exactement tenue. En fait, nous avons pris parti pour le sultan Abd-el-Aziz contre son frère Moulaï-Hafid, et notre dernière opération militaire, celle qui avait pour objectif Settat, faisait partie d’un plan de campagne dont le but était de battre le second au profit du premier. Ce plan une fois arrêté, nous en avons continué machinalement l’exécution, sans même tenir compte des circonstances nouvelles qui s’étaient produites. Moulaï-Hafid avait été proclamé à Fez ; la situation de son frère était devenue très précaire, sinon désespérée. Nous n’en avons pas moins continué de travailler pour celui-ci contre celui-là, politique infiniment dangereuse, qui nous conduirait Dieu sait où. Quand on a commis une faute, le mieux est de la reconnaître et d’y mettre un terme : dans le cas actuel, c’est de s’en aller.

Si telle est l’opinion de M. Jaurès, ce n’est pas, on peut le croire, celle de M. Ribot. « De la prudence, s’est-il écrié, de la clairvoyance