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combien il vous surpasse de cœur et d’esprit. Dans une telle situation, je laisserai librement développer les intrigues et les déclamations des roués qui n’annoncent une nouvelle autorité spirituelle qu’afin de pouvoir impunément adresser au fondateur de la religion qu’ils feignent d’adopter des outrages analogues à ceux de vos ignobles lettres.

Signé : AUGUSTE COMTE.


Il semble que Comte, en écrivant cette diatribe où il associe Célestin de Blignières à tous les « faux positivistes, » ait eu le sentiment pénible que le pouvoir absolu qu’il prétendait exercer sur son école lui échappait. Il mourut le 5 septembre suivant, d’un cancer à l’estomac. On a pensé que sa rupture avec Célestin de Blignières avait pu hâter sa fin. Elle fut assurément aussi douloureuse pour le maître que pour le disciple. Lui-même attribuait l’origine de son mal à la fatigue qu’il avait éprouvée en suivant, par une journée très chaude, le cercueil du sénateur Vieillard jusqu’au Père-Lachaise. Le livre qui lui causa une si profonde irritation parut peu de jours après. « Ces deux causes furent fâcheuses, dit Littré, mais ne créèrent pas le danger ; quand bien même M. Comte ne se fût ni fatigué à suivre un convoi, ni livré à la colère, l’affection cancéreuse n’eût pas moins suivi un cours que rien n’arrête. Toutefois, il est vraiment douloureux que le hasard des circonstances ait fait coïncider une grave peine morale avec les souffrances physiques d’un mal incurable[1]. »


A. BOSSERT.

  1. Célestin de Blignières est mort à Neuilly-sur-Seine le 30 septembre 1905. Dans l’avant-propos d’une Lettre sur la morale, adressée à Mgr Dupanloup en 1863, il s’expliqua publiquement sur sa rupture avec Auguste Comte. « Dans la religion positive, disait-il, telle que je la comprends et que je l’admets, le schisme est de droit, et c’est ainsi qu’elle est compatible avec la liberté. Ce droit, on l’exerce évidemment à ses risques et périls ; mais il est absolument nécessaire pour garantir qu’une doctrine ne comprendra jamais que des vérités démontrables. »