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princes que l’on a depuis appelés médiatisés[1]et peut-être même chez des souverains plus considérables. La cour de Berlin, par exemple, était tellement endettée au moment de la mort du gros Guillaume[2]que l’on ne trouva pas dans le trésor de quoi subvenir aux frais de ses funérailles, et c’est à Sagan que l’on expédia un courrier pour prier mon père d’avancer la somme nécessaire pour cette cérémonie. Mon père accueillait chez lui, avec l’hospitalité abondante du Nord, non seulement toute la province, mais encore beaucoup d’étrangers qui, de Berlin, de Prague ou de Dresde venaient passer quelque temps à Sagan. Une troupe de comédiens assez passables, des chanteurs italiens et de bons musiciens attachés à la maison de mon père occupaient agréablement les longues soirées d’hiver[3]que des chasses superbes et des repas un peu longs avaient précédées. Mais le plus grand ornement de Sagan était, sans doute, ma mère charmante encore, entourée de mes trois sœurs éclatantes de jeunesse, de grâce et de talens. On disait même que j’étais une jolie enfant qui ne gâtait rien au tableau. Mon père avait, comme je l’ai déjà dit, une telle aversion pour la laideur, qu’il voulait que ma mère ne fût entourée que de jolies personnes, qui, à titre de demoiselles d’honneur, la suivaient partout, comme c’est l’usage en Allemagne. Je vois encore les bals, les redoutes, les mascarades par lesquels on célébrait la naissance de mes parens et de mes sœurs ; et si j’ai assisté depuis à des fêtes plus brillantes, aucune n’a laissé à mon imagination des souvenirs aussi vifs.

Il eût été trop douloureux de rester à Sagan dans les premiers instans qui suivirent la mort de mon père ; aussi ma mère nous mena-t-elle dans une maison que nous possédions à Prague, et où elle passa l’année de son deuil.

Notre fortune était intacte, les guerres qui, depuis, sont venues ravager l’Allemagne ne pouvaient être prévues[4]et

  1. Affranchis de la souveraineté immédiate de l’Empereur.
  2. Frédéric-Guillaume II mourut le 16 novembre 1797, laissant en effet les finances en pleine détresse. La dette s’élevait à plus de 40 millions de thalers.
  3. Leipelt, ouvrage cité, p. 168.
  4. La guerre de 1806 fut particulièrement ruineuse pour le duché de Sagan. Pendant les guerres de l’Empire la ville fut plusieurs fois pillée. La guerre de 1813 à 1815 coûta à la ville seule 65 000 thalers.