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nous étions, à cette époque, les quatre plus riches héritières du Nord. De tous côtés les plus grands partis se présentaient pour mes sœurs qui étaient d’âge à se marier. Ma mère, accoutumée à une longue soumission aux volontés de son époux, qui lui accordait bien peu d’autorité sur ses enfans laissa, par habitude, une parfaite liberté à ses filles dans le choix, si important, d’un mari. Cependant elle vit avec plaisir et encouragea même le goût mutuel de sa fille Wilhelmine et du prince Louis-Ferdinand de Prusse[1]. Tous deux jeunes, beaux, doués de qualités semblables auxquelles la différence du sexe n’apportait que de légères nuances, ils paraissaient faits l’un pour l’autre. Jamais union ne sembla devoir être plus approuvée, jamais mariage n’eût donné plus d’espérance de bonheur. La sœur du prince[2], amie intime de ma mère, et de plus ma marraine, désirait vivement cette alliance qui, à la première ouverture, parut convenir également au roi de Prusse[3]. Mais le mariage d’un prince du sang est toujours l’objet d’une grave délibération, et les ministres prussiens appelés à donner leur avis s’opposèrent si fortement au mariage qu’on soumettait à leur décision que le Roi retira trop positivement son consentement pour qu’on pût espérer de l’obtenir jamais.

La fortune personnelle du prince Louis-Ferdinand, déjà très considérable et qui devait s’accroître à la mort du prince Henri[4], son oncle, dont il était l’héritier, réunie à celle de la jeune duchesse de Sagan, eût placé ce prince dans une indépendance de la Cour qui, jointe à l’entreprise naturelle de son esprit, à son ambition, à ses talens, à son attitude haute et un peu hostile, l’auraient rendu un sujet trop puissant et par conséquent dangereux. C’eût été, en effet, placer dans le centre même des États du Roi une branche redoutable dont l’influence eût pu rompre l’équilibre nécessaire au repos de la famille royale. Quand on a connu le prince et ma sœur, on est bien prêt à trouver que les ministres prussiens pouvaient ne pas avoir donné un mauvais conseil.

La rupture de ce mariage laissa de longs regrets au prince et

  1. Louis-Ferdinand, prince de Prusse, neveu du Grand Frédéric, né en 1772, fut tué à Saalfeld dans un combat d’avant-garde (octobre 1806).
  2. Elle avait épousé le prince Antoine Radziwill (1775-1839).
  3. Frédéric-Guillaume III (1797-1840).
  4. Le prince Henri de Prusse était frère du Grand Frédéric. Né en 1726, il mourut en 1802.