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tentative, pour laquelle certains champions de l’orthodoxie intransigeante se montrent, en ce moment-ci, fort sévères, mérite toute la confiance que son auteur fondait sur elle. Les contemporains de saint Thomas lui-même avaient le droit de croire, — et ils en ont largement usé, — que tout essai de conciliation entre la pensée aristotélicienne et le dogme chrétien était voué à un échec irrémédiable : en fait, Aristote, le véritable Aristote n’est-il pas beaucoup plus loin du catholicisme qu’un Auguste Comte, par exemple, ou un Kant ? En apologétique, comme en religion, la foi ne justifie pas sans les œuvres, — et sans le succès.


III

Ferdinand Brunetière venait d’achever son Utilisation du Positivisme, et il se préparait à de nouveaux Discours de combat, quand le mal qui, depuis de longues années, le minait sourdement, s’abattit sur lui pour ne le plus quitter. On sait quel héroïsme et quelle activité il déploya pendant ces deux années de lente agonie physique et morale. Tout d’abord, reprenant une idée qu’il avait souvent exprimée, et qui semble lui avoir été de longue date familière[1], il songea à construire son Port-Royal : c’était une vaste étude sur l’Encyclopédie et les Encyclopédistes, dont il avait lentement amassé tous les matériaux, et qu’il se proposait d’essayer dans une série de conférences. Proscrit des chaires officielles, pour cause d’hétérodoxie, il avait aisément retrouvé une tribune et un public. Il ne put traiter que la première partie du sujet qu’il avait choisi, les Origines de l’esprit encyclopédique. C’en fut assez pour nous faire pressentir que le livre qui sortirait de ce cours eût été une très belle œuvre. Plus fortement construit que le Port-Royal de Sainte-Beuve, aussi curieusement fouillé et documenté, et peut-être même, dans sa manière plus oratoire, aussi dramatique et aussi vivant, le livre n’eût pas eu une moindre

  1. Je lis dans un article daté du 15 août 1882, et non recueilli en volume, sur des Publications récentes sur le XVIIIe siècle ces lignes caractéristiques : « Il y aura des choses neuves à dire des philosophes et de l’Encyclopédie, tant que nous n’aurons pas reconquis la tranquillité d’esprit qu’ils nous ont enlevée. » — Cf. encore Nouvelles questions de critique, p. 46-47, la brochure intitulée la Moralité de la doctrine évolutive, p. 2, note, et le grand nombre d’articles consacrés ici même jusque vers 1890 au XVIIIe siècle.