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bords du golfe Persique, dans les vallées de l’Euphrate et du Tigre, voire au centre même de l’Europe, l’Angleterre doit chercher une sauvegarde à la tranquillité de ses possessions d’Asie. La Perse est en mesure de bénéficier des préoccupations anglaises : son existence est une garantie du repos de l’Inde. J’ai dit : son existence, et non pas son développement. Si l’Angleterre et la Russie peuvent s’entendre sur le maintien de la Perse, il est possible qu’elles voient sans grand regret s’y prolonger une anarchie propice ; car le relèvement de l’Iran, sa réforme européenne affectent également le Caucase et l’Inde. De Tiflis à la Caspienne, vit une population de Turcs Chiites, de même race et de même langue que les peuples du Nord-Ouest de l’Iran ; dans la Péninsule, les Chiites forment un groupe appréciable ; d’autre part, la culture persane s’est, depuis plusieurs siècles, imposée aux cours indigènes et aux classes élevées. En cas de succès des réformes persanes, le Caucase et l’Inde risqueraient de subir l’excitation d’un aussi dangereux exemple.

Quoi qu’il en soit, la révolution persane, suivie de l’accord anglo-russe, paraît offrir une chance excellente aux peuples de l’Iran. Jamais le Siam ne fut mieux garanti, qu’une fois découpé en zones d’influence par l’accord anglo-français. Si elle sait agir avec suite et prudence, pareille bonne fortune peut échoir à la Perse. L’insouciance des habitans, la fragilité des matériaux donnent à tous les pays d’Orient un même aspect de ruine ; nulle part cette impression n’est plus vive que sur le plateau d’Iran. Les maisons sont effondrées, les rues béantes, les revêtemens de faïence s’effritent sur les mosquées et les tombeaux. Il semble que le peuple iranien soit tombé au dernier degré de la dégradation et de la misère. Pourtant, sous ces débris, persistent les traces d’une culture glorieuse, une intelligence affinée, un patriotisme ardent, et, chose unique en terre musulmane, une nationalité consciente et compacte : germe fécond de floraisons futures. Au lieu de les décomposer, la secousse due à l’initiative anglaise paraît en voie de fortifier les Persans ; elle a réveillé chez eux des énergies latentes ; le mouvement libéral tend à changer de caractère, il conduit le Shah et son peuple à communier dans un même sentiment patriotique, à s’unir en un effort commun pour le relèvement national, dont le succès pourrait assurer effectivement l’indépendance de la Perse.

En dehors de l’Angleterre et de la Russie, dont le rôle