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ses prétentions provoquèrent une sorte de révolte. M. Combes fut remis à sa place naturelle, qui est modeste, et on commença même à l’oublier. Lui, toutefois, ne s’oubliait pas. Il n’a pas renoncé à ressaisir la direction de nos affaires ; il se considère comme un sauveur en disponibilité, qui a eu besoin de prendre un peu de repos, mais qui en a pris assez et qui est maintenant à la disposition de son pays. On l’a vu se remuer et s’agiter beaucoup dans les couloirs du Sénat. Il lui fallait une occasion : il a cru la trouver en dénonçant les scandales qui, disait-il, s’étaient produits dans la liquidation des biens congréganistes. Il pleurait de tendresse en songeant aux vieux moines qui se voyaient privés de leur pain quotidien, et qui peut-être, par suite d’un déplorable malentendu, l’accusaient de leur misère ! En conséquence, il provoqua la réunion d’une commission d’enquête, dont on le nomma président. Il avait attaché le grelot ; il était résolu à le faire sonner. Le tour était bien joué. Si M. Combes avait été sage, il s’en serait tenu là, au moins pour quelque temps ; mais se rappelant avec quelle rapidité il avait naguère parcouru en triomphateur toute l’arène politique, il a voulu une fois de plus brûler les étapes.

En prenant un jour possession de la présidence de son groupe, qui est, numériquement, le plus considérable du Sénat, il a prononcé un discours destiné à faire sensation. Il y célébrait la vertu politique de l’ancien bloc radical-socialiste. D’où vient, s’est-il demandé, que l’action parlementaire, si féconde naguère, est devenue déplorablement stérile ? Cela vient de ce que le bloc a changé de caractère, ou plutôt de ce qu’il n’existe plus. Il se dressait autrefois, rude et abrupt comme Gibraltar : aujourd’hui l’imposant rocher s’est abaissé, il s’est aplani et tout le monde passe par-dessus lui. On a vu entrer peu à peu dans la majorité gouvernementale des élémens du plus mauvais aloi, des progressistes et même, à des intermittences à la vérité plus rares, des conservateurs. Si cela durait, la République serait bientôt perdue, puisque M. Combes ne pourrait plus la gouverner. Il n’est que temps de conjurer un si grand péril, en procédant à l’épuration d’une majorité composite où M. Combes lui-même commence à ne plus reconnaître les siens et craint de les voir lui échapper. Telle est la thèse qu’il a développée sans aucun ménagement de forme, car il ignore l’art des nuances. Son discours a été remarqué ; les journaux l’ont reproduit et commenté ; mais au bout de huit jours, on n’y pensait déjà plus, car tout s’oublie vite en France. Aussi M. Combes a-t-il jugé à propos de se répéter, et il a choisi pour cela, avec une rare inconvenance, une occasion où tout le monde aurait dû mettre pour