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qu’il faudrait en déposséder si l’on voulait les distribuer à d’autres.


VI

Déduction faite de ces énormes propriétés nationales, boisées ou inutilisables pour longtemps encore par l’agriculture, il reste 263 millions d’hectares de biens privés : or la plus grande part de cette superficie appartient présentement aux paysans. Ils détiennent 179 millions d’hectares. La Russie est, de toutes les nations d’Europe, celle où la classe populaire possède le plus de terres proportionnellement aux autres classes, puisque plus des deux tiers du sol cultivé sont en ses mains. J’ai sous les yeux des chiffres afférens à l’Allemagne, à l’Autriche-Hongrie, à l’Italie, à l’Angleterre ; je n’en fatiguerai pas inutilement le lecteur ; mais il en résulte que, chez tous ces peuples, la classe paysanne possède une bien moindre partie du sol qu’en Russie.

Dans notre France démocratique, qui se flatte de compter des propriétaires par millions et plus que nulle autre des monarchies voisines, la petite propriété, — moins de 9 hectares, — ne représente qu’un tiers du territoire ; les propriétés moyennes, de 9 à 50 hectares, absorbent un autre tiers et celles de plus de 50 hectares occupent le reste. Ce qui n’existe presque pas en Russie c’est la moyenne propriété ; entre les 179 millions d’hectares de la masse paysanne et les 72 millions d’hectares des propriétaires nobles ou « marchands, » — les nobles, au nombre de 107 000, ayant en moyenne 540 hectares, les « marchands, » au nombre de 23 000, possédant 614 hectares par tête, — la moyenne propriété apparaît tout insignifiante, avec ses 4 millions d’hectares aux mains de 85 000 petits bourgeois.

Mais, quoique le paysan russe possède plus de terre qu’aucun paysan du monde, il est moins riche que tous les autres parce qu’il la possède mal et, par suite, est incapable de la bien faire valoir. En effet, parmi ces 179 millions d’hectares qui leur appartiennent, il n’y a guère de propriétés individuelles : 14 millions d’hectares seulement. Tout le reste est propriété collective. Selon les localités, chaque famille a droit à 1, 2, voire 4 hectares par « âme » masculine ; mais il faut, pour ne léser aucun intérêt, que chacun, dans la distribution périodique, ait son lot des meilleurs terrains et des plus mauvais, des plus proches et des plus