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Nous ne pouvons plus nous représenter cette procession qu’à travers les frises de Phidias, qui en sont une image tout idéale. La réalité était sûrement autre chose. Ce que je crois en deviner paraîtrait sans doute grossier ou mesquin aux personnes qui se figurent l’antiquité comme un opéra perpétuel ; mais je sens, pour ma part, que j’aurais regardé cette pompe familière avec la même curiosité et la même complaisance que le cortège du Beïram dans les rues de Damas.

N’essayons donc pas de voir plus loin que nos yeux. Le passé se dérobe et, souvent, nous rebute. Prenons l’Acropole telle qu’elle est et tirons-en tout notre plaisir. Si j’ai différé le mien par ces considérations préliminaires, ce n’est pas ma faute. Ceux qui sont venus ici pour disserter uniquement sur le Beau et sur les arcanes de l’art grec m’obstruaient en quelque sorte la vue du Parthénon. Il fallait d’abord déblayer le chemin.


Le soleil décline. Il est six heures du soir. L’illusion de neige a disparu. Maintenant, le sol est rose comme un champ de bruyères. Le Parthénon semble un gigantesque reliquaire de cuivre rouge, et ses colonnes allongent par terre de grandes ombres lilas.

Je monte, en glissant, les degrés du stylobate. Pour fouler ces marbres tièdes, il faudrait être pieds nus, comme les Orientaux, ou porter leurs souples babouches. Les semelles épaisses des chaussures européennes y sont mal assurées, et rien que ce détail insignifiant vous rappelle que vous n’êtes ici qu’un étranger.

Mais sitôt qu’on a pénétré dans ce quadrilatère éblouissant, on est tellement terrassé par la majesté et la splendeur de l’ensemble qu’on en oublie son indignité. Les souvenirs déferlent en vagues tumultueuses, du fond de la mémoire, des pensées confuses et grandioses se mêlent à l’harmonie sereine des lignes, au calme rayonnement des couleurs. On hésite entre la beauté du paysage et la perfection d’un art qui s’égale à l’énormité de sa matière. On se sent tout à coup isolé du reste du monde, dans un lieu saint et magnifique. Et voici qu’à présent on s’estime davantage, comme si l’on empruntait à ces pierres augustes quelque chose de la gloire visible dont elles vous environnent.

On voudrait s’arrêter longtemps devant chaque débris, mais on pressent que la fête sera brève, autant que l’agonie du soleil.