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rétablie en Extrême-Orient, l’entente se maintint. A l’automne dernier les deux Cabinets présentèrent d’un commun accord à la Porte un projet de réforme judiciaire en Macédoine : ils rédigèrent une note destinée à donner une nouvelle interprétation de l’article 3 du programme de Mürzsteg et à décourager les espérances des États balkaniques qui y avaient vu l’annonce d’une réorganisation territoriale de la Macédoine sur la base des nationalités.

En Russie, cependant, une transformation profonde s’accomplissait insensiblement. Vaincue, déçue dans ses plus brillantes espérances, déchirée par la fureur des partis, la Russie se recueille, se reconstitue. Désabusée des mirages qui l’ont entraînée au naufrage de Port-Arthur, elle revient aux routes traditionnelles, jalonnées par des souvenirs de victoires, qui la conduisent sur le Danube et vers les Balkans ; l’appel des frères slaves monte de nouveau jusqu’à elle, et elle se reproche, comme une désertion de sa mission historique, l’abandon où elle les laissait. L’entente avec l’Autriche-Hongrie pour le maintien en Macédoine d’un statu quo oppresseur des populations slaves, lui apparaît comme une offense à ses traditions nationales. Les fêtes commémoratives des grandes étapes victorieuses de la guerre de 1878 qui ont réuni à Chipka, à Sofia, à Plevna les représentans de l’armée libératrice avec les Bulgares affranchis, ont trouvé, dans les cœurs russes, un joyeux écho ; elles ont réveillé les glorieux souvenirs et les haines ataviques. La guerre de Mandchourie, le paysan russe ne l’a jamais comprise ; sa guerre à lui, son Drang national et sacré, c’est la lutte contre le Turc ; c’est la croisade de la Sainte Russie pour la délivrance des chrétiens encore esclaves du musulman. La manifestation de ce sentiment profond et vivace correspond aux vues du gouvernement du Tsar : c’est un utile dérivatif aux passions révolutionnaires et aux agitations réformatrices. Le programme de Katkof n’était-il pas à la fois panslaviste à l’extérieur et autocratique au dedans ? C’est un utile dérivatif aux passions révolutionnaires et aux agitations réformatrices que de les canaliser vers une entreprise nationale. Chez tous les peuples slaves il se produit, en ce moment une recrudescence très caractérisée du sentiment de la solidarité et de la communauté d’intérêts entre les rameaux épars de la race : l’aiguillon allemand qui, en ce moment même, s’enfonce dans les chairs du peuple polonais,