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qui urinait du sang[1]. Il concluait à ce que toute exploration fût différée et que jusque-là l’Empereur ne fût pas envoyé aux eaux. Son avis fut adopté. Aucun procès-verbal ne fut rédigé, mais Conneau fut chargé d’instruire verbalement l’Impératrice de l’avis des consultans. Il lui dit donc qu’il n’y avait rien d’inquiétant, qu’il s’agissait de rhumatismes et que l’Empereur n’irait pas aux eaux. Afin de ne pas épouvanter l’Impératrice, il ne lui parla ni de pierre ni de sondage. Et l’Impératrice ignora si complètement ce qui se débattit sur ce sujet entre les médecins, que lorsque, beaucoup plus tard, le mot cruel de pierre fut prononcé devant elle pour la première fois, ainsi que me l’a raconté la duchesse de Mouchy, elle poussa un cri de douloureuse stupéfaction.

Sée n’avait pas été chargé de rédiger une consultation au nom de confrères, qui le considéraient plus ou moins comme un intrus et qui n’avaient pas admis ses conclusions. Ce qu’il apporta le 3 juillet à Conneau, ce ne fut pas un projet de consultation collective à soumettre à la signature des autres consultans, puis à communiquer à l’Impératrice. S’il en eût été ainsi, Conneau, le plus honnête et le plus consciencieux des hommes, aurait accompli la double mission qu’on lui avait confiée. Ce qu’apportait Sée, c’était sa consultation personnelle constatant les résultats de son examen du 19 juin, dont il avait différé la remise jusqu’après la consultation générale du 1er  juillet. Comme Conneau connaissait déjà la conclusion à laquelle arrivait Sée et qui n’avait pas été admise, il la mit dans un tiroir sans même l’ouvrir, et c’est ainsi qu’on l’a retrouvée après le 4 septembre[2].

  1. Ces craintes de Nélaton ont été confirmées par l’événement. Le célèbre chirurgien anglais Thompson, qui a opéré l’Empereur, a écrit après sa mort au docteur Evans : « Mon impérial client n’est nullement mort des suites de l’opération chirurgicale ; il est mort, parce que les reins étaient dans un état de maladie avancé. Leurs cavités et les uretères étaient tellement dilatés que l’uretère gauche était aussi gros que l’aorte. Or, j’ai formellement énoncé depuis longtemps qu’en pareille circonstance la taille n’offre pas plus de chances de succès que la lithotritie. »
  2. La lecture attentive de la consultation de Sée ne permet aucun doute sur son caractère. Il n’y est pas fait la moindre allusion à la discussion qui eut lieu entre les consultans le 1er  juillet ; elle ne s’occupe que de l’état du malade et non de l’opinion des médecins qui le soignent ; de plus, elle est en contradiction complète avec les conclusions adoptées par la majorité le 1er  juillet. Elle conclut à l’exploration immédiate de la vessie : « le moment est opportun, dit-il, par cela même qu’il n’y a actuellement aucun phénomène aigu. » Or, la majorité des consultans avait décidé que, précisément à cause de l’existence des phénomènes aigus, cette exploration était inopportune et devait être différée. L’opinion de Sée était donc bien individuelle. C’était celle qu’il avait rédigée après la consultation du 19 juin, quoiqu’il ne l’eût remise à Conneau qu’après le 1er  juillet.