Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/834

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pauvre Palatinat,… c’est qu’on se soit servi de mon nom pour tromper les pauvres habitans ; c’est que ces braves gens, dans leur innocence et par affection pour l’Electeur notre défunt père, aient cru ne pouvoir mieux faire que de se soumettre volontairement, dans l’idée qu’ils m’appartiendraient et qu’ils seraient plus heureux qu’avec l’Electeur actuel, car je suis encore du sang de leurs maîtres légitimes. Non seulement ils ont été trompés dans leur espoir et ils ont vu leur affection très mal récompensée, mais ils sont tombés par là dans un malheur et une misère éternels. Je ne peux pas le digérer, cela me fait trop de chagrin. »

Il y avait bien de quoi s’user les yeux à pleurer. Madame était restée populaire au Palatinat. Chacun le savait. « Elle y était extraordinairement aimée, » note le marquis de Sourches (11 mars 1689), qui compatissait à sa souffrance. Les bonnes gens de là-bas comptaient sur Liselotte pour les protéger, et il en était d’eux comme des petits enfans que Gilles de Retz, l’original de Barbe-Bleue, prenait soin de s’attacher avant de les torturer ; une immense détresse morale se joignait aux maux que leur infligeait la tactique impitoyable de Louvois. « (5 juin 1689.) Monsieur m’a dit une chose que j’ignorais et qui m’a fendu le cœur. Dans le Palatinat, le Roi lève toutes les contributions en mon nom ; de sorte que ces pauvres gens se figureront que je profite de leur malheur et que je suis la cause de tout. Cela me désespère. »

Elle ne se trompait qu’à demi. Le peuple du Palatinat s’étonnait : pourquoi la princesse Liselotte ne venait-elle pas à leur secours ? « (30 octobre 1689.) On m’a conté hier une chose qui m’a profondément attendrie et que je n’ai pu entendre sans pleurer… Quand il vient un Français à Heidelberg, les pauvres gens l’entourent en foule et lui demandent de mes nouvelles. Ils se mettent ensuite à parler de… monsieur mon père et de mon frère, et ils versent des larmes amères, car ils n’aiment pas l’Électeur d’à présent. »

Liselotte avait reçu le baptême de la grande douleur, celle qui tue les faibles et fortifie les forts. Elle sortit grandie de l’épreuve.


ARVEDE BARINE.