Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Desing atteint l’âge de dix-huit ans, on célèbre ses noces avec la fille de l’Empereur, arrivée de Delhi, et les fêtes du mariage et du couronnement durent six mois. Toujours les époux sont séparés par une tenture qui partage en deux l’appartement. Jamais la princesse n’a vu le prince, jamais le prince n’a vu le visage de la princesse. Ainsi en fut-il pendant douze ans.


Mais voici que le Mogol de Delhi demande à son ministre : « Les tributaires se sont-ils acquittés ? — Tous ont payé, Seigneur, excepté le Nawab d’Arcot qui, depuis douze années, n’a rien envoyé. » L’Empereur fait mander au Nawab de s’exécuter, sinon on le punira de la prison. Une correspondance administrative s’engage par quoi l’Empereur apprend que le Nawab n’a jamais pu obtenir de Desing Radjah le payement de son tribut. Des pages entières du poème sont consacrées à cette partie financière de l’histoire, et il n’y est pas fait grâce d’une seule lettre. On y cite tous les noms des cent soixante-douze Paléagars tributaires du Nawab. Et chacune des épîtres, — mieux vaudrait, au vrai, dire de ces dépêches ministérielles, — se termine par ces mots : « Depuis douze années, Desing Radjah n’a pas payé. »

Enfin le Nawab est autorisé par l’Empereur à employer la force. Toundamallavinan, lieutenant du Nawab Sadatulla Khan, marche sur Genji à la tête d’une puissante armée. Sur son passage, les pays s’émeuvent, et les Paléagars essayent d’intervenir. Mais l’officier, sans les entendre, continue sa route et pénètre dans le district de Genji. Jusqu’ici, Desing n’a répondu aux sommations que par le mépris.

On peut s’étonner de son mutisme, car il aurait pu arguer, tout d’abord, de l’exonération dont l’avait favorisé, douze années auparavant, l’Empereur en personne. Mais les faits héroïques ne se laissent pas réduire par la logique. Si tout se passait suivant la vérité des choses, une certaine poésie n’y trouverait pas son compte, et la fin tragique de Desing se réduirait au cas d’un contribuable obstiné à ne point produire ses quittances non plus que ses avis de dégrèvement.

Et d’ailleurs, le récit nous laisse à cet égard dans une merveilleuse incertitude. On pourrait croire que Desing n’a pas été prévenu de ce qu’on tramait contre lui, ou bien que l’Empereur a oublié ses engagemens.

C’est par le soin du tam-tam que fait battre Toundamallavinan,