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« Quels propos osez-vous me tenir ? Je ne connais pas ce tribut ! Le Nawab lui-même, s’il eût ainsi parlé devant moi, je l’aurais sitôt mis en pièces ! Si le Nawab est de noble race, qu’il vienne en personne réclamer cet argent !… »

Toundamallavinan en demeura muet de terreur. Il balbutia des mots sans suite, invoqua Vichnou, et sortit à reculons, en se prosternant. Mais l’émotion qui le tenait était telle, qu’il ne put monter à cheval, ni même à dos d’éléphant. Ce fut dans un palanquin qu’il se fit porter. Ainsi couché, il regagna Arcot avec ses troupes et une lettre que Desing lui avait remise pour le Nawab. Et, pour annoncer son retour, il donna l’ordre de battre le tam-tam.

Les sons de l’airain chatouillèrent agréablement l’oreille du Nawab : « Tout va bien, se dit-il, voilà Toundamallavinan qui arrive avec l’argent. » Aussitôt il manda le trésorier Bangarounaïker et le Scharaf, c’est-à-dire le comptable qui a charge de reconnaître les espèces. Il ordonna aussi d’allumer des lampes sans nombre, d’étendre les plus beaux tapis. Puis le Nawab attendit, d’un cœur joyeux, l’entrée de son lieutenant.

Ici la traduction littérale s’impose. À qui connaît le caractère hindou, l’entrevue du Nawab et de son officier apparaîtra comme le chef-d’œuvre du genre.

« Toundamallavinan fit un grand salam au Nawab. — où est l’argent ? demanda celui-ci. — Que voulez-vous que je vous dise, ô Nawab ! Il m’a fait affreusement souffrir. Il m’a menacé de mort. Et j’ai peur de vous exposer tout ce qui s’est passé à sa cour. Voici la lettre qu’il m’a remise. Lisez, et vous connaîtrez sa réponse ! — Le Nawab reçoit la lettre et la donne à Ranganadapoullé, son secrétaire. Le secrétaire lut la lettre et baissa la tête. Et le Nawab s’écria : — Qu’est-ce que vous avez à dire ? Ne craignez rien ! Dans deux heures, je ferai démolir la forteresse de Genji ; je réduirai en captivité les hommes comme les femmes ! Dites la vérité, Ranganadapoullé.

« Ranganadapoullé lut la lettre : « Dites au Nawab de venir aujourd’hui ! S’il est homme, il le fera. Je lui payerai l’argent au tranchant du glaive. Si le Nawab est une femme, il n’a qu’à se sauver. Cette année, la récolte des grains est abondante, qu’il en charge ses chariots. Dans la citadelle de Genji, il n’y a que des pierres et du sable, — que le Nawab les emporte à Arcot. — Seigneur, en ces termes injurieux Desing vous a écrit. » Le