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la place les acomptes, malgré les injonctions pressantes des agens de Pondichéry : « Emparez-vous de la ville. Ainsi vous vous payerez de vos mains et mettrez de bons murs entre vous et Nazzir-Sing ! » Nazzir-Sing ne se pressait point, d’ailleurs. Telle était la terreur qu’il inspirait à distance, que les troupes de Chunda-Sahib et de Mozuffer-Sing, sous le coup d’une panique, s’en furent d’une traite s’écraser contre les murs de Pondichéry

Telle était la valeur morale des auteurs de ce drame. Dupleix ne devait parvenir à se défaire de Nazzir-Sing que par l’assassinat. Les deux autres n’étaient pas destinés à une meilleure fin. Mais la démoralisation gagnait l’armée. Les officiers, qui n’avaient pas été de ces heureux qui touchèrent l’or de Tanjore, réclamèrent, se mutinèrent. Ainsi édifiées, les troupes ne montrèrent pas un meilleur esprit. Les défections menaçaient à toute heure, cependant qu’approchait l’armée de Nazzir-Sing. soutenue par des contingens mahrattes et anglais. Les Français furent bousculés sans peine. Il fallut battre en retraite plus vite que le pas. Mozuffer-Sing montra en ces circonstances ce qu’on pouvait attendre de son caractère. Renonçant à la protection de Dupleix, il résolut de s’en remettre à la générosité de son oncle. Il ne s’était pas rendu prisonnier qu’on le chargeait de chaînes. Chunda-Sahib, trop fraîchement sorti de captivité, pour désirer retourner chez les Mahrattes, nous demeura fidèle et suivit la débâcle.

« Il est aisé d’imaginer quelle fut la douleur du sieur Dupleix, en apprenant tous les détails de la conduite de nos lâches officiers ; et pour surcroît de malheur, le désastre de Monzafersingue qui, ayant négligé de suivre notre armée, était tombé avec la majeure partie de ses troupes aux mains de Nazir-Jung. »

Ainsi s’exprime Dupleix dans ses Mémoires. Ce passage donne confiance pour les autres événemens dont il rend compte. Les « lâches officiers » auraient pu répondre que ce n’est pas en donnant aux gens de guerre l’argent comme idéal que l’on fait grand. Qui sème la corruption a toutes les chances de récolter la pourriture. Et c’est cette pourriture qui ruinera plus tard Lally-Tollendal dans ses entreprises, qui le livrera désarmé aux Anglais d’abord, puis aux Français. Et on le tuera pour qu’il ne parle pas. Les petits moyens ne peuvent guère produire de grands effets. S’il convenait d’établir une hiérarchie dans les turpitudes, le vol de haute main, où l’on risque sa vie, est, à