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du 10 août, n’ait parlé d’un papier si curieux, si décisif, et qui aurait circulé « demain en main ? » Laissons ce commérage à celui qui l’a inventé.

Le 10 août avait remplacé le gouvernement royal par un Conseil exécutif provisoire de six membres. Roland, ministre de l’Intérieur, présidait, perdu dans les détails comme un commis, et dans les abstractions comme un idéologue, jouet d’une femme à qui son imagination tenait lieu de raison et de conscience ; le Genevois Clavière, chargé des « Contributions publiques, » n’était qu’un bon comptable aux prétentions de grand financier ; Servan, à la Guerre, tendait l’oreille vers tous les donneurs de conseils et promenait dans les bureaux sa mine effarée ; Monge, savant illustre, égaré dans les affaires et comme écrasé sous leur poids, était à la Marine ; Lebrun-Tondu, ancien abbé défroqué, ancien soldat déserteur, ancien journaliste, avait reçu le portefeuille des Affaires étrangères ; Danton était ministre de la Justice. Celui-là était un homme : les cinq autres, pâles figurans d’un drame auquel ils ne comprenaient rien, devaient promptement tomber sous son joug. Il les dominait, les bousculait, les maîtrisait. Son assurance leur faisait croire que, lui le premier, ils avaient des convictions. Son intelligence, qui n’était pas le génie, mais où l’instinct rapide suppléait la pratique et l’expérience, sa décision impérieuse, son verbe éclatant qui lui donnait l’air d’un « Mirabeau des Halles, » entraînèrent les comparses attachés à sa suite. Lebrun-Tondu fut trop heureux d’abdiquer tout de suite entre ses mains robustes. Mais Danton, grandi dans la basoche, était dépaysé dans la diplomatie, la chose du monde qui s’improvise le moins. Peu importait, d’ailleurs : il n’était point retenu par de fausses pudeurs, et il sut trouver des conseillers. Talleyrand lut l’un d’eux.

Talleyrand était déjà l’homme de France le mieux préparé à en diriger la politique extérieure. Son apprentissage sous le duc de Choiseul, dernier reflet des Richelieu, des Mazarin, des Lionne et des Torcy ; ses relations avec Vergennes qui avait allié au goût des nouveautés le respect des traditions ; sa collaboration intime avec Mirabeau qui, tout décousu qu’il fût, avait eu comme des éclairs de génie devant cette société en travail sous les ruines qu’il accumulait, — l’avaient initié aux principes de cette science des affaires étrangères où, bientôt, il passera maître. Son rôle au Comité diplomatique ; l’aide qu’il avait