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coups qui pourraient être portés » du côté de la neutralité de l’Angleterre. Le rappel de l’ambassadeur anglais, lord Gower, était aussitôt venu donner corps à ses avertissemens. Et cependant, il n’avait pas hésité à composer son mémoire que Lebrun transmit à Chauvelin le 18 août. Ce mémoire, il faut l’avouer, malgré toute l’habileté de son auteur, n’était d’ailleurs pas opportun. Ainsi que le faisait remarquer Chauvelin, le sort de Louis XVI inspirait aux Anglais, sans exception, de l’intérêt, même de la sympathie ; on craignait à Londres pour sa vie, et l’allusion transparente à la révolution de 1648 était un manque de tact dans un pays où l’on commémorait tous les ans, par un jour d’humiliation, la mort de Charles Ier. Le ministre plénipotentiaire de France, qui n’était peut-être pas fâché de montrer que, depuis le départ de Talleyrand, il n’était plus en tutelle, résumait son avis par ces mots : « Je me suis toujours plus convaincu que cette pièce était à quelques égards inconvenable et en tous points de la plus parfaite inutilité[1]. »

Au fond, c’était beaucoup moins pour les Anglais que pour les nouveaux maîtres de la France, qu’avait écrit Talleyrand. Le 10 août, qui mettait le pouvoir aux mains des Girondins avancés et des Jacobins, avait achevé la déroute des constitutionnels. Désormais, ils seront suspectés, traqués, guillotinés. Ils n’ont qu’un moyen de salut, l’émigration. Mais l’émigration même leur est devenue difficile, presque impossible, depuis que, le 28 juillet, l’Assemblée a décrété que seuls les citoyens chargés d’une mission par le gouvernement, les gens de mer et les commerçans auront droit à un passeport. Ce passeport, c’est le moyen légal d’émigrer : Talleyrand voulut l’obtenir. Il avait d’abord demandé au Conseil exécutif d’être renvoyé en Angleterre pour y continuer sa mission. A l’unanimité, le Conseil exécutif avait refusé[2]. Alors, il sollicita un passeport « pour retourner à Londres, non comme chargé d’aucune fonction publique, mais comme l’ayant été, » et la note aux puissances, rédigée au même moment, fut le prix dont il espéra le payer : l’un explique l’autre.


Étant venu à Paris il y a un mois par congé du ministre, M. Talleyrand a laissé en suspens à Londres quelques objets qui demandent absolument

  1. 28 août. Affaires étrangères, Angleterre, 582, pièce 23.
  2. Voyez le discours de Roland à la Convention le 7 décembre 1792 (Moniteur universel du 9 décembre).