un mot de Sainte-Beuve, des « familles naturelles d’esprits. » Les vues de cette espèce ne sont pas rares chez lui ; elles s’entremêlent fort heureusement aux constatations purement historiques, donnant à celles-ci une portée plus générale, sans jamais tomber elles-mêmes dans la banalité. Si la mode était encore aux recueils de « pensées, » il serait aisé d’extraire des livres de M. Boissier bon nombre de remarques, de réflexions, voire de maximes, sans prétention ni dogmatisme, mais justes et souvent perçantes. En d’autres temps, il eût peut-être été moraliste : il avait toutes les qualités requises dans ce genre, la sagacité du coup d’œil, la gravité relevée d’une certaine pointe satirique, la netteté du tour. Ces mérites ont trouvé d’ailleurs leur emploi dans ses livres d’histoire, où il n’est pas rare que ce disciple de Mommsen fasse songer à La Bruyère.
Pour extraire ainsi de la connaissance du passé des conclusions de psychologie largement et universellement humaine, il est nécessaire d’avoir regardé autour de soi, d’avoir complété l’étude des livres par celle de la vie contemporaine. En effet, M. Boissier ne s’est jamais interdit d’établir entre le passé et le présent des rapprochemens curieux, non pour le plaisir que procurent des allusions malicieuses, mais pour le profit que l’on peut tirer de ces comparaisons. L’expérience moderne et l’expérience historique se prêtent un mutuel appui. Il pense que pour comprendre la révolution tentée par Catilina, la science que nous avons acquise pendant un siècle d’émeutes et de coups d’Etat doit nous servir à quelque chose : « Nous en avons assez souffert pour avoir le droit d’en profiter. » Réciproquement, autrefois nous éclairera sur aujourd’hui. En décrivant les mœurs politiques de la démocratie au temps de Cicéron, M. Boissier ne perd pas de vue la démocratie du XIXe siècle. En faisant sa promenade archéologique en Tunisie et en Algérie, il est frappé de la manière dont les Romains ont résolu les problèmes de colonisation africaine qui se posent devant nous. « Si nous savons les interroger, ils auront beaucoup à nous apprendre ; » et il les interroge, tant et si bien que son livre sur l’Afrique romaine est presque autant un livre sur l’Afrique française. Quand il raconte l’affaire de l’autel de la Victoire au IVe siècle, il en signale le rapport avec des polémiques récentes : « Les partisans de la séparation des Églises et de l’Etat et de la suppression du budget des Cultes pourraient, avec