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un peu de complaisance, mettre saint Ambroise de leur côté. » Ce souci d’actualité n’a rien qui puisse surprendre. M. Boissier avait un trop vif sentiment de la vie réelle pour s’isoler dans la contemplation des choses mortes ; il défendait Hermagoras, mais il aurait été incapable d’ignorer comme lui le train du monde de nos jours. Hâtons-nous d’ajouter qu’il ne versait pas non plus dans l’excès inverse. Nul ne s’est tenu plus éloigné de la tactique qui consiste à faire de l’histoire une arme pour les polémiques contemporaines. Un pamphlet à la façon de Beulé lui aurait paru spirituel, mais trop peu sérieux. Tout au contraire, rien n’est plus remarquable en lui que le large et loyal désintéressement avec lequel il a abordé les questions les moins commodes à traiter d’une plume impartiale. Les dates, ici, sont à retenir. Quand il écrit Cicéron et ses amis, on se bat autour du césarisme ; Allemands et Français, impérialistes et républicains, Mommsen comme Napoléon III, projettent dans l’histoire du dictateur leurs idées et passions personnelles : M. Boissier ne calomnie pas plus César qu’il ne le surfait ; son ouvrage n’est pas plus un libelle d’opposition qu’une profession de foi gouvernementale. La lutte continue quand il publie l’Opposition sous les Césars ; la fortune a changé de camp : lui n’a pas changé de caractère ; et l’Opposition flagorne aussi peu le parlementarisme républicain que Cicéron et ses amis flattait l’absolutisme bonapartiste. Lorsqu’il compose la Religion romaine, il se trouve entre deux camps ennemis, celui des polémistes chrétiens, qui ment entièrement les vertus du monde païen, et celui des « philosophes, » qui refusent à la révolution chrétienne toute efficacité. « Ce sont là, dit-il, des exagérations auxquelles le bon sens résiste et que l’histoire dément ; je puis promettre qu’on ne les retrouvera pas dans cet ouvrage. Je n’y cherche que la vérité... C’est à mon sens un succès médiocre pour un auteur que son livre devienne une arme de guerre dans la main des partis qui se combattent ; ce qu’il doit plutôt désirer, c’est de lui voir produire, suivant la belle expression de M. de Rossi, des fruits de paix et de vérité. » Un fruit de paix et de vérité : c’en est encore un que la Fin du paganisme, dont le sujet n’est autre que l’étude des plus grands théologiens chrétiens, et dont la date est celle des débats les plus ardens entre « cléricaux » et « libres penseurs. »

Ainsi, d’un bout à l’autre de sa carrière, M. Boissier n’a