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dans les environs, par le séjour des émigrés, nous devinons qu’il n’a pas manqué de retirer lui-même, de ce séjour, un très vif plaisir et quelque profit. Aussi bien ne nous cache-t-il pas que c’est expressément de la bouche des « demoiselles » de Coblence qu’il a appris ce qu’il nous révèle de leur dépravation. Et son accent de vertueuse amertume ne nous empêche pas de comprendre qu’il aurait, bien volontiers, prolongé indéfiniment son étude de la vantardise, de la prodigalité, et de l’infatigable « galanterie » des émigrés, au lieu de se remettre en marche, avec l’armée coalisée, vers Trêves, le Luxembourg, et la frontière de France.


Jamais, dit-il, je n’oublierai le jour où, pour la première fois, nous avons posé le pied sur le sol français. Le matin, au sortir du campement, le temps était doux et bon ; mais, après une marche de deux milles, nous dûmes faire halte, pour laisser passer la cavalerie et l’artillerie ; et, pendant cet arrêt, une pluie effroyable s’abattit sur nous, froide et pénétrante, qui nous permettait à peine d’avancer. Enfin, nous rompîmes les rangs, de nouveau, et nous postâmes auprès d’un village appelé Brehain-la-Ville, à un bon mille déjà de la frontière allemande.

La pluie continuait de tomber, sans un moment d’interruption ; et comme le mauvais état de la route avait contraint les fourgons de bagages à ralentir leur marche, nous nous trouvâmes condamnés à une longue station en plein air, sous l’averse qui nous mouillait jusqu’aux os. C’est là qu’il aurait fallu entendre les jurons des officiers et soldats !

Au bout d’une heure environ, on nous commanda d’aller chercher du bois et de la paille au village voisin, pendant que d’autres s’occuperaient de rapporter du fourrage pour les chevaux. Ce dernier travail s’accomplit naturellement, comme il se pratique toujours en pays ennemi : nos hommes coupèrent, arrachèrent tout le blé des champs ; quelques instans leur suffirent pour transformer en un désert une plaine dont huit ou dix villages s’étaient attendus à tirer leur nourriture durant toute une année. Et plus horribles encore furent les scènes qui se passèrent dans les villages. Le plus proche de notre campement était le susdit Brehain, un beau grand bourg où avait, naguère, résidé un « bailli du Roi. » C’est là que je me rendis en courant, pour me réchauffer, avec beaucoup d’autres soldats, sous prétexte de nous approvisionner de bois et de paille. Mais, avant de s’occuper de cet approvisionnement, la plupart de mes compagnons explorèrent les maisons, et en emportèrent tout ce qu’ils pouvaient y découvrir de facile à prendre : du linge, des vêtemens, des vivres, et bien d’autres choses, soit pour s’en servir eux-mêmes ou pour les revendre.

Les hommes de ces villages s’étaient tous éloignés, en ne laissant que leurs femmes, peut-être parce qu’ils croyaient que celles-ci auraient plus de chances d’émouvoir la compassion des envahisseurs. Mais le rude soldat n’a pas beaucoup d’égards pour le beau sexe, d’une façon générale, et surtout en pays ennemi...