convient surtout qu’il soit un fin connaisseur des âmes, pour apprécier complètement le plus grand psychologue que nous ayons dans notre littérature. Un tel ensemble de conditions ne se trouve pas très souvent rempli, même par nos plus brillans professeurs. Et c’est bien pourquoi il eût été infiniment regrettable que M. Jules Lemaître ne nous entretint pas de Racine. Ses conférences conservent, en volume, tout leur attrait. Pourtant elles produisent une impression un peu différente. En les écoutant, on était surtout réjoui par l’agrément du tour, par l’élégance de la phrase, par l’esprit, par l’éclat de certains morceaux, les portraits d’originaux, la grande fresque historique sur le règne d’Alexandre, le parallèle des deux inspirations, l’antique et la chrétienne, la méditation sur la destinée d’une Maintenon. En les relisant, on est surtout frappé de voir combien ces études, d’une allure si aisée, sont solides et pleines de choses.
Ce volume, s’ajoutant au Jean-Jacques Rousseau de l’an dernier, précise la physionomie de M. Jules Lemaître comme historien de la littérature. C’est bien le critique des Contemporains et des Impressions de théâtre qui nous revient, mais modifié par tout ce que vingt années de lecture, de réflexion, d’expérience de la vie ont pu lui apporter pour l’élargissement de son esprit. Sans doute il fera encore ici confession de son impressionnisme. « Je me contente d’exprimer des prédilections personnelles et l’on peut me dire que ce n’est plus de la critique ; comme s’il n’y avait pas toujours, au fond et à l’origine de la critique, l’émotion involontaire de notre sensibilité en présence d’une œuvre ! » Mais c’est pour ne pas en avoir le démenti. J’ai toujours pensé qu’aux plus beaux temps de son dilettantisme, M. Jules Lemaître avait beaucoup plus de certitudes qu’il n’en voulait laisser paraître ; c’était plutôt un raffinement de politesse à l’égard de ceux qui auraient été d’un autre avis que le sien. Et aussi, il s’amusait. Il forçait la note, malicieusement, pour mettre en colère notre cher et grand Brunetière. Il se peut en effet qu’on apporte un scrupule de délicatesse à ne pas trop affirmer, quand il s’agit d’écrivains encore vivans ou de la pièce nouvelle que nous venons d’entendre ; mais la même réserve s’impose-t-elle à l’endroit des plus fameux auteurs, que nous apercevons avec le recul du temps, et d’œuvres livrées depuis des siècles aux disputes des hommes ? Non sans doute. Le critique d’une littérature en formation et l’historien de notre tradition littéraire ne doivent pas avoir même attitude. Le fait est que, maintenant, M. Lemaître ne doute plus guère de l’opinion qu’il avance, et n’hésite pas à être de son propre avis. Il sait, de