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Volga et ses affluens, traverserait Moscou pour gagner la mer Baltique et Riga où elle serait au seuil de l’Europe sans être tributaire du Portugal et même à son détriment.

La conception était grandiose. Mais, pour la faire aboutir, le consentement du souverain moscovite était nécessaire, puisque la voie nouvelle devait traverser ses États. Au moment où Centurione se préparait à partir pour aller le solliciter, le Saint-Siège l’invita à tâcher, dans ses pourparlers, de faire renaître la question de l’union des Églises. Il partit donc ayant deux objets en vue et il ne fut pas plus heureux pour l’un que pour l’autre. Le prince régnant refusa tout net de laisser circuler des étrangers sur son territoire. Quant à la question religieuse, elle fut discutée mais non résolue. Il devait en être encore ainsi des missions qui, jusque sous Pierre le Grand, se succédèrent dans le même dessein, sous une forme ou sous une autre, par l’intermédiaire de négociateurs plus ou moins obscurs, plus ou moins ingénieux, moines, savans, voyageurs, commerçans venus à Moscou sous divers prétextes, parvenant parfois à y faire admettre des ordres monastiques de la communion romaine, tels les Jésuites et les Franciscains, mais dont l’influence, si elle fut assez puissante pour créer un régime de tolérance religieuse qui, à travers mille péripéties, s’est prolongé jusqu’à nos jours, ne le fut jamais assez pour avoir raison de la volonté des souverains russes de ne pas se soumettre à l’Église de Rome et de conserver à celle de Russie son indépendance et son autonomie solennellement proclamées en 1589.

Ce qui, du reste, parait clairement résulter des récits abondamment documentés que consacre à ces événemens le savant historien qui nous y sert de guide, c’est que la Papauté a constamment ignoré les véritables sentimens de la Russie « Ses espérances, écrit le P. Pierling, se sont toujours fondées sur des bases chimériques, » Le spectacle de cette longue continuité d’efforts et de tentatives n’en est pas moins singulièrement attachant, non pas seulement parce qu’à la lumière des innombrables pièces d’archives que le narrateur a pu consulter, il met sous nos yeux des événemens ignorés ou peu connus, et fait revivre des personnages dont la poussière des siècles avait effacé le souvenir, mais aussi parce qu’il explique et fait comprendre pourquoi, alors que nous avons vu, depuis cinquante ans, s’élargir les bases et se modifier la nature des rapports séculaires de la Russie avec Rome, l’influence du passé et celle des traditions ont pesé sur la marche des affaires et même sur les transactions diplomatiques.