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L’intérêt que présente une telle étude, qui ne forme pas moins de quatre volumes et que l’académie française vient de couronner, s’accroît encore de cette circonstance que les épisodes successifs qu’elle ressuscite se sont déroulés en marge de l’histoire nationale russe en se confondant parfois avec elle, au point de tenir la plus grande place dans les élémens de sa formation. À plusieurs reprises, on voit la Papauté y tenir un rôle et non des moindres. C’est ainsi qu’au XVIe siècle, sous le règne d’Ivan IV, lorsque la Russie va succomber sous les coups du roi de Pologne, Stéphane Bathory, l’intervention du pape Grégoire XIII arrache au vainqueur son consentement à une trêve de dix ans, qui permet au vaincu de réparer ses désastres. Au siècle suivant, lorsque le faux Dmitri cherche à s’emparer de la couronne, il s’ingénie à mettre la Papauté dans son jeu et, une fois victorieux, c’est à elle qu’il recourt pour se maintenir au pouvoir. On devine aisément de quelle importance historique sont à cette époque les rapports du Saint-Siège avec la Russie. Cette importance n’est pas moindre lorsque le Isar Pierre le Grand vient en France. Les instructions que le Pape envoie alors à son nonce à Paris témoignent du réveil des illusions du Saint-Siège, en ce qui touche la rentrée de la Russie dans la communion romaine.

Ainsi, par la force des choses, le narrateur de tant de tentatives faites par la Papauté pour arriver à l’union des Églises, est amené à faire dans ses récits une large part aux événemens d’ordre général. Le service qu’il rend à la science historique par ses révélations sur les dissidences religieuses s’augmente de tout ce qu’il apporte de neuf à l’histoire nationale russe. Le troisième volume de son ouvrage que domine la figure énigmatique de Dmitri, le quatrième que remplit la personnalité géniale de Pierre le Grand, versent des flots de lumière sur des temps que nous connaissions encore si peu, avant que M. Walizewski eût commencé à les éclairer par des travaux qui font autorité et qu’à un autre point de vue continuent et complètent ceux du P. Pierling. Grâce à lui, le voile est déchiré, qui nous dérobait les détails des événemens au cours desquels s’est formée l’âme russe, et ce n’est pas une mince surprise d’y saisir la preuve que si la Papauté a été impuissante à convertir la Russie à la foi romaine, elle a cependant exercé une influence heureuse sur les destinées de ce grand pays.


Ernest Daudet.