Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au moins, de ne pas être partisan de la grève générale quand on l’est de l’organisation syndicale… Vous m’objecterez le résultat des dernières grèves, mais elles n’ont été que partielles. Dans toutes les guerres, il y a des escarmouches et de grandes batailles. Les escarmouches donnent rarement des résultats décisifs, mais elles préparent aux grandes batailles. » Et voici la fin de cette harangue : « Croyez-moi, citoyens ; cette idée (de la grève générale) est féconde. Ne la combattez plus ; aidez-nous, au contraire, à la propager. En lui faisant bon accueil, le parti socialiste fera œuvre révolutionnaire, et l’union qui sortira de ce Congrès sera plus complète, n’étant pas exclusive d’un mode d’action pour lequel le prolétariat syndiqué a nettement marqué des préférences. » Et le Compte rendu ajoute : « Applaudissemens prolongés ; l’orateur est vivement félicité en regagnant sa place[1]. » Si nous reproduisons ces passages, ce n’est aucunement par malignité à l’endroit de l’ancien ministre de l’Instruction publique, actuellement garde des Sceaux ; il est vraisemblable qu’aujourd’hui ses opinions se sont modifiées sur ce point, quoiqu’on l’ait vu récemment à la Chambre, à propos d’un placard socialiste dans la Loire où l’on avait mis sa signature, déclarer avec fierté qu’il ne voulait pas infliger de démenti à ses anciens compagnons de lutte et les renier ; mais il était utile démontrer que la tactique de grèves systématiques, devant aboutir à la grève générale, qui constitue la méthode de la Confédération générale du Travail, avait trouvé des approbateurs parmi les esprits cultivés.

Elle y en trouve encore : c’est, certes, un esprit d’une haute culture que M. Georges Sorel, qui vient de publier un livre des plus curieux : Réflexions sur la violence[2], que nous avons déjà mentionné. Ancien ingénieur, il est aujourd’hui, peut-on dire, le premier des récens théoriciens socialistes en France ; il combat avec beaucoup de hauteur et d’âpreté la tactique et les hommes mêmes du parti socialiste parlementaire ; il ne parle pas ou parle peu de la Confédération générale du Travail ; il prétend se tenir dans des régions plus élevées ; il dédaigne, lui aussi, tous les mandats ; il est un apôtre désintéressé du syndicalisme intégral et de la grève générale. Son opinion, toute de doctrine, mérite qu’on l’examine et qu’on la discute.

  1. Mermeix, op. cit., p. 277 à 291.
  2. Librairie des Pages libres, 1908.