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M. G. Sorel se distingue de la plupart des autres écrivains ou orateurs socialistes par une certaine largeur d’idées. Quoique détaché personnellement, autant qu’on en peut juger, de toute idée religieuse, il ne laisse apparaître contre les religions, notamment contre la religion catholique, aucune hostilité et aucun parti pris : « Il ne semble point, écrit-il, que les religions soient sur le point de disparaître… Le catholicisme a repris, au cours du XIXe siècle, une vigueur extraordinaire, parce qu’il n’a rien voulu abandonner ; il a renforcé même ses mystères, et, chose curieuse, il gagne du terrain dans les milieux cultivés, qui se moquent du rationalisme, jadis à la mode dans l’Université[1]. » Il cite avec respect Pascal, puis, avec une véritable admiration et fréquemment, le cardinal Newman, sans acrimonie, Brunetière. Il invoque avec déférence Tocqueville et mentionne courtoisement Le Play. Il confisque au profit de ses doctrines, par des raisons dont nous ne nous rendons pas compte, la philosophie de M. Bergson. En revanche, il est très animé contre les politiciens socialistes et les intellectuels ; il s’attaque vivement aux « propriétaires officiels du marxisme, » aux « socialistes nantis, » aux « financiers socialistes ; » il rompt nettement avec toutes « les anciennes chapelles officielles, utopistes et politiciennes ; » il les rapproche presque de « l’Office du Travail » et du « Musée social » qui ont aussi toutes ses sévérités. Quant aux intellectuels, il multiplie à leur égard les marques de dédain : ce « sont justement des gens qui ont pour profession l’exploitation de la pensée ; » et encore : « les intellectuels ne sont pas, comme on le dit souvent, les hommes qui pensent : ce sont les gens qui font profession de penser et qui prélèvent un salaire aristocratique en raison de la noblesse de cette profession, » ou bien : « les intellectuels qui ont embrassé la profession de penser pour le prolétariat ; » les mots soulignés le sont dans le texte de M. G. Sorel et il rappelle un passage célèbre de Proudhon : « Alors, vous saurez ce qu’est une révolution provoquée par des avocats, accomplie par des artistes, conduite par des romanciers et des poètes, etc.[2] » Proudhon n’avait pas prévu les philosophes et les sociologues. M. G. Sorel est très dur pour des socialistes, politiciens ou intellectuels, de grande réputation ; ainsi, pour ne citer que des étrangers, à

  1. Georges Sorel, Réflexions sur la violence, p. 116.
  2. . Id., op. cit., p. XXXIX, 109 et 147.