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courtes apparitions à Paris pour vos affaires ; donnez-moi deux jours au Val-Richer dans une de ces apparitions.

En attendant, dites-moi un peu au vrai l’état des esprits, autour de vous ; je suis très curieux des départemens. Je n’en sais rien que de vague et de banal. Vous êtes sur un point où les esprits sont, si je ne me trompe, bien inertes. Je m’attends à une assemblée qui nous tirera d’inquiétude sans nous donner ni satisfaction, ni espérance. Nous avons pris comme devise : Vivre, c’est ne pas mourir.

Les événemens au dedans et au dehors ne nous permettront pas toujours de nous contenter de si peu. Je ne prévois rien de ce qui peut arriver au dedans ; mais je vois au dehors des chances d’avenir qui commanderont absolument à la France une politique et un gouvernement. C’est surtout en Allemagne que sont les chances, car c’est là qu’on veut sérieusement défaire et refaire des empires et des peuples : questions nécessairement européennes ; mais j’entre dans un chemin qui me mènerait trop loin. J’aurais grand plaisir à m’y promener avec vous en causant.


RETOUR EN FRANCE

À son retour en France, Guizot alla s’installer à sa terre du Val-Richer où il se proposait de passer désormais la plus grande partie de l’année. Lavergne de son côté, devenu agriculteur, cultivait son domaine de Peyrusse, situé dans la Creuse. La plupart des lettres échangées entre les deux correspondans sont datées de ces résidences de campagne. Guizot se plaint parfois de leur éloignement qui ne permettait pas aux deux amis de se rejoindre et de goûter les charmes de la conversation qui avait pour eux tant d’attraits.


1850


Val-Richer, 12 juin 1850.

Votre lettre est venue me trouver au Val-Richer, mon cher monsieur. Mon nid est un peu plus près du soleil et des passans que le vôtre ; mais j’y vis à peu près comme vous à Peyrusse, plus avec les champs qu’avec les hommes, et prenant beaucoup plus de plaisir à regarder ce qui pousse en silence qu’à écouter le bruit qui m’arrive. Je vais pourtant sortir pour quelques