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et fleurant la décomposition… Ah ! ce fumet de pourriture, écœurant, presque intolérable, fruit et rançon de la débauche, où seuls les sens ont eu leur part, part abusive, léonine, faite au mépris des droits du cœur ! « Oh ! éviter à tout prix cela, » prononça instinctivement Olivier, qu’une nausée faillit étourdir.

Il se rejeta sur les livres, qu’il avait un peu négligés depuis six mois, puis résolut de se montrer, de se beaucoup mêler au monde, moins en acteur qu’en spectateur attentif. Il touchait à sa vingt-huitième année, et les réflexions qu’il avait pu faire jusque-là, au hasard des événemens, sur ce groupe restreint aux frontières indécises, — qu’un singulier esprit de classe avait conduit à s’adjuger, à l’exclusion des autres groupes, ce nom de « société, » — il les voulut maintenant reprendre, et contrôler avec soin, et, autant que possible, réunir en un tout lié, en une sorte de système. Il n’entendait point par ce mot, auquel il avait fini par s’arrêter, je ne sais quel corps de doctrine valable pour tous, ni rien qui rappelât l’allure et le ton des exercices livresques. Il éprouvait ce sentiment, commun aux âmes d’élite, qui les ramène vers elles-mêmes et les sollicite de s’approfondir, pour se mieux connaître et se gouverner avec sûreté. Et c’est bien vers la vingt-huitième année que s’impose à elles cette manière d’examen de conscience, à ce moment où l’adolescence n’est plus, où la première jeunesse achève d’être. On sent alors qu’il faut prendre parti, s’affirmer pour ou contre certaines attitudes reçues, suivre ou braver certains préjugés, faire le geste du troupeau, ou s’en affranchir.

Pour Le Hagre, qui avait depuis longtemps jugé le monde des salons, il ne s’agissait guère, en l’occurrence, que d’une mise au point. Il rassembla ses souvenirs, les classa méthodiquement, moins par confiance en la vérité des catégories, qu’il estimait toujours plus ou moins artificielles, que pour mettre un peu d’ordre dans ses démarches ultérieures, en les dirigeant sur des pistes bien définies. D’ailleurs, et d’une manière générale, son goût de l’analyse ne réussissait jamais à le complètement leurrer sur la véritable portée de l’esprit critique. Il n’accordait à l’analyse qu’une valeur esthétique et d’utilité, nullement une valeur de vérité. Elle lui était une diversion dans ses souffrances, et, pour le reste, il ne croyait pas davantage qu’elle fût jamais autre chose qu’un moyen. Aussi bien, ne se proposait-il rien