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prophète, il n’y a plus de France, ou il n’y a plus d’Europe. » Seule la monarchie nouvelle, née des circonstances, improvisée sous le coup de la nécessité, peut barrer la route à la Révolution. Lamartine est bien décidé à s’y rallier.

Mais il avait été fonctionnaire de la Restauration. Pouvait-il conserver son emploi sous le gouvernement né des ruines du régime qu’il avait servi ? Il ne le pensa pas. S’il adhérait à la Monarchie de Juillet comme citoyen, il devait en même temps donner sa démission de « salarié. » C’était une nuance qu’avait aussitôt démêlée sa naturelle délicatesse d’âme. Cette démission, encore fallait-il qu’il la fît agréer avec tact, ou plutôt qu’il la négociât avec diplomatie. Car la famille de Lamartine avait de très anciennes obligations envers la famille d’Orléans. La mère du poète avait été élevée au Palais-Royal ; elle avait joué avec celui qui était maintenant Louis-Philippe ; elle avait un fervent attachement pour Madame Adélaïde. On se souvient quel avait été son émoi lors de la publication du Sacre, où quelques vers malencontreux de son fils avaient pu prêter à un soupçon d’ingratitude. Lamartine ne veut ni démission bruyante ni compromission intéressée, ni fracas ni palinodie : il n’est ni Chateaubriand, ni Victor Hugo.

De toute évidence, pour mener à bien cette affaire, il fallait que Lamartine fût à Paris : Il y arriva le 11 septembre, un peu inquiet de laisser femme et enfant dans une contrée troublée et mal sûre. Mais il était désireux de s’informer de l’état des esprits, et de juger par lui-même de la situation publique dont, à distance, il ne se rendait pas nettement compte. Surtout, il avait hâte de régler ses rapports avec le pouvoir : une double démarche, — de convenance à l’égard du régime aboli, de loyalisme à l’égard du régime nouveau, — pouvait seule lui rendre toute sa liberté d’action. C’est le détail de cette négociation qu’on va suivre dans les lettres que Lamartine adressa à sa femme pendant son séjour à Paris, lettres singulièrement piquantes par la façon dont elles nous introduisent dans la salle du Conseil et mettent en scène Louis-Philippe.


Samedi matin, 12 septembre 1830[1].

Je suis bien arrivé, mon cher amour, sans aucun inconvénient ni fatigue.

  1. A Mme Eliza Birch de Lamartine, à Mâcon.