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et restait plus que jamais orientale, musulmane et absolutiste, il voyait la cause de toutes les difficultés où elle se débattait et de tous les dangers qui la menaçaient : c’était Midhat-pacha.

La figure de ce grand patriote, de ce serviteur passionné et désintéressé de la grandeur de son pays, apparaît au premier plan dans l’histoire des réformes libérales en Turquie ; il été le père et l’inspirateur de la Constitution de 1876 et il en a été aussi le martyr ; par l’exemple de sa vie, de son activité et de sa mort il est le précurseur, l’initiateur du mouvement « jeune turc. » Etudions son œuvre et cherchons à démêler les causes de son insuccès final. Précisément son fils Ali-Haydar-Midhat-bey vient de consacrer à sa vie et à son œuvre un livre très nourri de faits et de documens qui nous servira de guide[1]. Midhat n’était pas un théoricien ; d’une famille assez modeste, il n’avait reçu qu’une instruction rudimentaire ; il dut ses idées surtout à son expérience d’administrateur ; il est avant tout un fonctionnaire modèle, et l’amour de l’ordre est le trait distinctif de son caractère. Un rapide voyage en Europe, en 1858, mais surtout la vue du désordre qui résultait, en Turquie, sous le règne d’Abd-ul-Aziz, du despotisme sans contrepoids ni contrôle, décidèrent de sa vocation libérale. Après avoir suivi la filière de la carrière administrative, il est nommé, en 1861, vali du vilayet du Danube (pays bulgares) : son premier acte est d’inviter les notables, sans distinction de race ni de religion, à une conférence où il les convie à exposer leurs griefs ; les ayant écoutés, il travaille à donner satisfaction à celles de leurs revendications qu’il croit justifiées ; il crée des routes, organise la navigation du Danube, améliore les conditions de la culture et la perception des dîmes, réprime le brigandage ; il cherche à donner à tous les sujets du Sultan la sensation que le gouvernement est établi non pour les opprimer, les rançonner et perpétuer l’esclavage de la conquête, mais pour les protéger et leur venir en aide : c’étaient là, en Turquie, d’audacieuses nouveautés. Pour hâter la fusion des diverses nationalités, il crée des écoles et des hôpitaux mixtes où les habitans de toutes les religions étaient reçus indistinctement ; il voulait que la même éducation fût donnée aux Ottomans et aux Bulgares, afin qu’ils

  1. Midlat-pacha, sa vie, son œuvre, par son fils Ali-Haydar-Midhat-bey. Préface de M. de Lanessan. Paris, Stock, 1908, 1 vol. in-8.