Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est ni le caprice d’un tyran, ni la jalousie d’un jeune souverain envers un ministre trop puissant qui expliquent l’hostilité du Sultan à la politique de Midhat ; elle tient à des causes plus profondes, à une conception radicalement différente de la souveraineté dans l’Empire ottoman et de l’avenir de la Turquie. Si odieux que l’on juge certains procédés du gouvernement d’Abd-ul-Hamid, on ne saurait contester qu’il ait été guidé par une idée politique qui tenait à la conception même qu’il avait de son pouvoir ; il ne s’est jamais regardé comme un souverain européen, mais comme le padischah des Ottomans et le chef religieux du monde musulman tout entier ; il s’est considéré comme le khalife, lieutenant et successeur du Prophète, détenteur d’un dépôt sacré de droits et de devoirs, hérités de ses ancêtres, nullement comparables à ceux d’un roi de l’Occident chrétien. Aussi n’a-t-il jamais cru que les méthodes européennes pussent être appliquées dans son Empire. S’il a cherché parfois un appui parmi les nations étrangères, c’est que la nécessité l’y obligeait, mais il est resté un souverain nationaliste, ottoman et musulman avant tout. Sa politique personnelle a été panislamique ; ses trames occultes se sont étendues jusqu’au Maroc et jusqu’en Chine ; à l’intérieur de ses Etats, il a poursuivi une œuvre de centralisation religieuse, administrative et militaire par le moyen des chemins de fer, appelant à lui, par la ligne de Bagdad et par celle du Hedjaz, les forces de l’Asie pour les opposer aux périls toujours renaissans sur les frontières européennes. Ce qu’Abd-ul-Hamid n’a pu pardonner à Midhat et aux libéraux, ce sont les circonstances mêmes de son propre avènement, cette convention de Muslou-Oglou, acceptée par son ambition, mais d’autant plus odieuse à son orgueil de souverain. Dans la personne de son ancien grand-vizir il poursuivit, avec une haine tenace, l’homme qui avait le plus contribué à déposer deux sultans et qui avait dicté des conditions à un troisième.

Midhat-pacha, après sa disgrâce, était devenu, par la force même des circonstances, le champion, l’incarnation des idées libérales et constitutionnelles. Les cabinets européens qui insistaient pour que les réformes fussent réalisées, invoquaient son exemple ; les ambassadeurs faisaient allusion à sa politique et laissaient entendre que son retour au pouvoir serait bien vu de leurs gouvernemens ; les journaux faisaient son éloge ; il était l’espérance de tous les Turcs libéraux : les rancunes du Sultan