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s’en exaspéraient. Il avait d’abord essayé de tenir sous sa dépendance ce trop populaire serviteur en le nommant vali de Damas, puis de Smyrne ; bientôt il trouva moyen de l’accuser, avec les principaux auteurs de la déposition d’Abd-ul-Aziz, d’avoir fait assassiner le Sultan et d’avoir imaginé la fable de son suicide ; dans un procès dont les débats furent conduits avec une scandaleuse partialité, Midhat fut condamné à mort ; l’intervention de l’ambassade d’Angleterre fit commuer sa peine en une détention perpétuelle : il fut enfermé dans la forteresse de Taïf, en Arabie. Mais, vivant, il restait un chef de parti, un drapeau pour les libéraux ; les ambassades pouvaient intervenir en sa faveur ; le 26 avril 1883, un détachement de soldats pénétra dans sa prison et l’égorgea. A quelque temps de là, un aide de camp de confiance du Sultan arriva à Taïf, fit déterrer de nuit le cadavre et lui trancha la tête. Un mois plus tard, le secrétaire du maréchal Osman Noury-pacha, vali du Hedjaz, arrivait à Yildiz avec une boîte portant l’inscription : Ivoires japonais, Objets d’art, Pour S. M. le Sultan. C’était la tête de Midhat.


IV

L’évocation tragique des destins sanglans du fondateur de la liberté constitutionnelle en Turquie, nous ne l’avons placée ici ni pour le vain plaisir d’un contraste saisissant, ni pour en tirer des prédictions sinistres sur l’avenir du nouveau régime. Les deux époques diffèrent profondément. En 1876, quelques hommes seulement tentaient de superposer à une nation qui, dans sa grande majorité, y restait indifférente, une Constitution à l’européenne : aujourd’hui, la mentalité nationale a été préparée par la souffrance à désirer la liberté et à en comprendre le prix. Le nouveau régime a l’appui fervent de la grande majorité du peuple, tout au moins de la partie instruite et consciente ; il ne se laissera pas enlever ce que les officiers du Comité Union et Progrès ont conquis pour lui. Nous avons brièvement conté l’histoire de Midhat-pacha parce qu’elle pose très bien, dans ses vrais termes, l’une des difficultés les plus graves qu’aient à résoudre Kiamil-pacha, ses ministres et les Jeunes Turcs : les rapports du Sultan avec les hommes et les choses du nouveau régime.

On éprouve une étrange impression lorsqu’on lit simultanément