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la vie de Midhat-pacha et les journaux qui rapportent que le Sultan s’est déclaré « le défenseur et le protecteur de la Constitution » à laquelle il a solennellement juré fidélité sur le Coran. Nous avons déjà signalé, à leur éloge, le souci des Jeunes Turcs du Comité Union et Progrès de tenir la personne du Sultan au-dessus des discussions. M. Ahmed Riza, directeur du Mechveret, disait récemment : « L’intérêt de mon pays m’oblige à ne pas suspecter la bonne foi du Sultan. » Ne soyons pas plus indiscret. A quoi bon d’ailleurs scruter la « sincérité » du Sultan ? Il est sincère chaque fois que ses paroles sont en harmonie avec ses intérêts ; il ne s’agit là que d’une « sincérité » politique, celle du cœur doit échapper à l’enquête. Les faits parlent d’eux-mêmes assez haut : Abd-ul-Hamid a accordé la Constitution parce qu’il n’apercevait plus aucun moyen de faire autrement, et nous avons indiqué déjà que, par ce seul geste, il a résolu d’un coup d’inextricables difficultés diplomatiques. Il fait preuve d’esprit politique en ne résistant pas, pour le moment, à un courant si violent qu’il emporterait tout ; mais, à moins qu’il ne soit trop affaibli par l’âge pour vouloir et pour agir, on peut prévoir que son attitude actuelle n’est que transitoire ; elle est trop humiliée pour durer. Abd-ul-Hamid, réduit à remercier les membres du Comité Union et Progrès des égards qu’ils veulent bien avoir pour lui et de l’ordre qu’ils ont maintenu à la cérémonie du Sélamlik ; Yildiz-Kiosk ouvert aux solliciteurs et aux manifestans ; le souverain obligé de parler, des fenêtres du Palais, à des foules hurlantes et de recevoir des délégations de soldats, deux cents chevaux des écuries impériales versés d’office dans la cavalerie ; des économies, des souscriptions « volontaires, » imposées par les délégués du Comité ; les serviteurs d’hier abandonnés, déclarés traîtres : — si une pareille anarchie durait, il n’y aurait plus qu’une ombre de Sultan et, un jour ou l’autre, cette ombre elle-même s’évanouirait ; Abd-ul-Hamid abdiquerait en faveur du sultan du Comité ; ou bien il s’enfuirait à Brousse, — nous allions écrire à Varennes ; — ou bien encore il tomberait victime de quelque attentat : il est rare que, dans de pareilles crises de surexcitation populaire, la vocation de justicier ne germe pas dans quelque cerveau trop logique...

Si le Sultan dure, il agira. Il est peu probable qu’il tente de ressaisir son pouvoir absolu, car il aurait contre lui l’armée, le