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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/165

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de ceux qui lui demandent une diversion et comme un contre- poids à une tension d’esprit trop prolongée. De même pour les savans ou les lettrés, qui exercent des professions trop sédentaires, on n’imagine pas d’emploi plus réconfortant de leurs loisirs que les séjours et les ascensions dans la haute montagne. Bien des mobiles peuvent y amener ceux qu’attirent les sommets. En même temps que tous, en s’efforçant d’y atteindre, acquièrent une endurance et une sûreté de marche qui leur permet d’affronter des courses souvent longues et périlleuses, quelles joies sans mélange laissent en eux le souvenir, les impressions goûtées sur les cimes, l’aspect grandiose et le silence de ces augustes solitudes, les horizons infinis qu’on découvre du haut de ces pics neigeux, au sein de ces glaciers immenses où, livrées à elles-mêmes, les forces de l’univers obéissent aux lois éternelles qui le régissent ! De même, quelle énergie physique et morale développe chez les explorateurs la traversée de ces contrées mystérieuses où ils ne pénètrent qu’au prix de fatigues et de privations de toute sorte, dans les déserts du pays de la soif, ou les hivernages glacés des régions polaires ! Les eaux, les champs, les forêts, dont les vastes étendues nous apparaissent vides et inanimées, révèlent à l’œil exercé du pêcheur ou du braconnier le poisson ou le gibier dont une observation attentive leur a fait connaître les gîtes, les habitudes et les ruses.

On le voit, et nous pourrions multiplier ces exemples, tous ceux qui ont à donner à leur corps des aptitudes répondant à des nécessités ou à des goûts spéciaux arrivent à le pourvoir de qualités appropriées aux fins qu’ils se proposent. Dans un ordre d’idées plus relevé, c’est par une accommodation analogue que le lettré, l’historien, le critique, habitués à manier des livres, y découvrent d’un coup d’œil rapide la page, la phrase, le mot décisif qu’il leur importe de trouver. De même, le savant, le botaniste, le physiologiste acquièrent une habileté merveilleuse pour préparer les matériaux des analyses ou des expériences délicates dans lesquelles ils s’ingénient à reproduire les données des phénomènes ou le fonctionnement des organes objets de leurs études. Qu’il s’agisse de mesurer l’espace ou le temps, de doser ou de peser des substances presque imperceptibles, de sonder l’infini de l’immensité ou l’infini de la petitesse, ils se sont créé des instrumens d’une précision incroyable, qui deviennent comme le prolongement de leurs organes. Grâce à