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qu’on croirait qu’il a sous les yeux les scènes idéales évoquées par son génie et qu’il lui suffit de les copier.

Au dire de Camerarius[1], « la nature avait donné à Dürer un corps admirablement construit et équilibré, tout à fait en harmonie avec l’esprit éminent qu’il renfermait... On ne pouvait rien voir de plus élégant que ses doigts... Comment décrire la fermeté et la sûreté de sa main ? On jurerait qu’il a exécuté avec le compas et l’équerre ce qu’il exécutait simplement avec le pinceau, le crayon ou la plume... Son esprit gouvernait sa main, » et son habileté technique faisait l’étonnement de ses contemporains. En même temps que son portrait (Pinacothèque, de Munich) nous montre la beauté de son visage aux traits nobles et réguliers, il nous offre un spécimen de la perfection dont il était capable dans son exécution. Lors de son voyage à Venise, Durer fut l’objet des vives instances de Giovanni Bellini qui, croyant que pour peindre avec le fini prodigieux qu’il y mettait, les chevelures des personnages de ses tableaux, il employait des brosses spéciales, fabriquées pour lui à cet effet, le pressa de lui en donner quelques-unes. Pour le convaincre qu’il n’y avait là d’autre mystère que celui de son talent. Dürer dut, avec les premières brosses venues, peindre sous les yeux de son confrère italien les cheveux d’une de ces figures.

Cet accord étroit entre la personne de l’artiste et l’ensemble (le son œuvre, que nous venons de signaler chez Léonard de Vinci et Dürer, il serait facile de le constater également chez des maîtres tels que Raphaël, Titien, Véronèse, Rubens, van Dyck, Velazquez, Poussin et, de nos jours, jusque chez Ingres, Delacroix, Corot et bien d’autres encore. Ce ne sont pas là des rapprochemens arbitraires, imaginés complaisamment et après coup ; mais il semble, en vérité, que la pratique de leur art, chez eux si ardente, et en même temps si diverse, ait marqué de traits franchement accusés la conformité de leur ressemblance physique avec leur individualité artistique, et moulé en quelque sorte leur aspect extérieur sur le caractère même de leur génie.

Un maître qui, dans ses portraits, a profondément exprimé la personnalité de ses modèles et, dans ses compositions, les sentimens de ses figures, Rembrandt, nous révèle dans la suite de ses

  1. Préface de sa traduction du Livre des Proportions de Dürer, p. 366 et suiv.