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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/181

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œuvres les recherches auxquelles il avait dû se livrer afin de se procurer l’éducation qu’il lui fallait à cet effet. De bonne heure il avait compris à quel point elle lui était nécessaire ; mais au début, ne disposant que de ressources restreintes pour son instruction, il ne pouvait songer à se trouver des modèles ailleurs que dans son proche entourage. C’est devant un miroir qu’il posait surtout lui-même, dans les costumes et les attitudes les plus variés, sous les éclairages les plus divers. Ses dessins, ses eaux-fortes, ses tableaux nous montrent les nombreuses effigies de sa propre personne, qu’il s’est plu à multiplier. Mais, on le comprend, la simulation des sentimens qu’il se propose d’exprimer ainsi manque tout à fait de naturel et leur représentation semble outrée, presque caricaturale. Peu à peu cependant, grâce à une observation plus pénétrante, il tempère cette grossièreté primitive et il en vient à traduire discrètement toutes les nuances de ces sentimens, à les indiquer d’un simple trait, si vrai, si juste, si saisissant que c’est la vie elle-même qui nous apparaît dans son œuvre, avec les acceptions infinies qu’elle comporte, toujours appropriées à son dessein, au caractère et à la condition de ses modèles, ou à l’état moral des figures qui animent ses compositions.

Ces exemples, et bien d’autres que nous pourrions ajouter ici, sont comme autant de preuves que l’art exige un travail incessant ; que de bonne heure l’artiste doit se donner son instruction professionnelle, à l’âge où ses organes ont encore leur souplesse et leur plasticité et que, toute sa vie, il lui faut conserver ce besoin d’apprendre, sans lequel il retomberait forcément dans les formules et les redites.


IV

De tout temps on a discuté sur la valeur relative des enseignemens que l’artiste doit recevoir avant de produire. Il appartenait à quelques esprits faux d’en nier à notre époque la nécessité ; de considérer l’ignorance comme le gage le plus sûr de toute originalité et de croire que l’absence de toute instruction professionnelle constituait un véritable progrès. Il fallait s’y attendre ; sur ce point, comme en tout ordre d’idées, c’est l’anarchie qui règne. Avec le nivellement par en bas, le flot montant des incapables ne pouvait manquer d’envahir une carrière qui,