Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de nombreux agens et par la nonchalance traditionnelle du Nitchevo.

Ces causes de faiblesse n’échappaient ni au gouvernement russe, ni à ses adversaires ; par une suite fatale, elles en produisaient d’autres, qui devaient compromettre le développement et le résultat de la campagne. Jamais géant, debout pour la bataille, au moment où il pousse son cri de guerre, ne fut surpris et ligoté dans son élan, comme le fut le colosse russe, avant même qu’il eût pu faire un pas vers les Balkans.

Ce fut l’Angleterre qui se chargea de l’opération. La diplomatie anglaise était dirigée par lord Derby. L’esprit un peu lourd de ce ministre, son imagination lente et tatillonne, était juste à l’opposé du caractère pétulant et du génie ardent de Disraeli ; mais sa manière précautionneuse présentait aussi des avantages. Car, malgré son poids, il se retournait parfois plus vite qu’on ne l’eût cru et saisissait les occasions favorables avec une certaine prestesse dont on ne se méfiait pas. On le vit bien, quand, dès le début de la campagne, il gagna une première manche par le procédé le plus simple : une initiative loyale à l’heure opportune.

Le Tsar avait à peine publié son manifeste, « ce mélancolique document, » comme le baptisa immédiatement le Standard, que lord Derby, en même temps qu’il proclamait la neutralité britannique, expliquait publiquement l’attitude du cabinet de Londres :


Je déclare, dit-il aux Lords, le 7 mai, que la Russie a pris sur elle la plus grave responsabilité en allumant l’incendie. Les intérêts de l’Europe, les intérêts de l’Angleterre, les intérêts de l’Orient sont atteints... L’Angleterre restera neutre ; mais elle s’efforcera de localiser et d’atténuer la guerre.


C’était tout un programme. Lord Derby déclara, bientôt après, avec non moins de franchise :


Si une intervention doit se produire, il vaut mieux attendre que les adversaires se soient épuisés par la guerre... Nous ne sommes plus en 1853. Le cabinet britannique a beau chercher ; il n’a pas d’alliés, du moins pour le moment. La France restera absolument neutre, l’Autriche est bien incertaine. L’Italie manifeste des tendances moscovites, et l’Allemagne se réserve.


Ces sages aperçus inspiraient confiance à Saint-Pétersbourg ; on était enchanté d’avoir affaire à un adversaire si modéré, La