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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/252

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[1], et l’arrangement Derby-Schouwaloff, rejetée du Balkan occidental par la volonté des puissances germaniques, cernée dans le Balkan oriental par les prétentions roumaines, serbes et grecques, mise en surveillance en Asie, en Egypte, à Constantinople, par l’Angleterre et par l’Europe, les mains liées et le pied pris, — la Russie aborde la guerre dans des conditions détestables : on pouvait prévoir, dès lors, que le bénéfice de la partie lui échapperait, à supposer qu’elle la gagnât.

Même dans les Balkans, le « Tsar libérateur » ne trouvait pas les concours chaleureux sur lesquels il eût cru pouvoir compter. Chacun avait ses plans, ses projets, ses « intérêts. » Entre la Russie et la Turquie, une ceinture de principautés à demi autonomes formait un tampon de situations acquises et d’ambitions particulières. Pour entrer en contact avec la Turquie (puisqu’on ne pouvait pas prendre le chemin de la mer), il fallait passer soit par la Serbie, soit par la Roumanie. Par la Serbie, l’Autriche avait bloqué la voie ; celle de la Roumanie était donc la seule.

La Roumanie était encore, d’après les traités, sous la suzeraineté des Sultans. Légalement, elle devait prendre les armes pour la Turquie. Mais, si elle le faisait, c’étaient son territoire et sa population qui subiraient les horreurs de la guerre. Restait-elle neutre ? Elle s’exposait au même péril, sans profit éventuel, dans le cas probable d’une défaite turque.

La Roumanie, — ou plutôt comme on les appelait alors, officiellement, les principautés unies de Moldo-Valachie, — avait à sa tête le prince Charles de Hohenzollern, qui l’avait conduite avec une habileté et une patience remarquables de 1866 à 1876. Ce prince, fidèle d’abord à sa famille, n’avait jamais oublié, comme il le dit lui-même, « qu’il était aux avant-postes de la pénétration germanique en Orient[2] ; » conformément aux

  1. Dès juillet 1876, l’entente de Reichstadt était intervenue, en vue de la guerre, entre les empereurs de Russie et d’Autriche. L’Autriche s’engageait à rester neutre ; mais la Russie abandonnait la Serbie et laissait à l’Autriche-Hongrie la faculté d’occuper, le cas échéant, la Bosnie et l’Herzégovine. Bismarck se plaint, dans ses Souvenirs, que l’Allemagne ait été « exclue de l’entente ; » mais c’est un grief qu’il se ménage contre la Russie ; car, en réalité, par Andrassy, il tenait tous les fils. Bismarck ajoute : « C’est cette convention, et non le Congrès de Berlin, qui est, pour l’Autriche, la base de la possession de la Bosnie et Herzégovine. »
  2. Lettre adressée par le prince Carol au roi Guillaume, au moment où celui-ci est proclamé empereur : « ... Je suis ici, seul, à un extrême avant-poste, comme la sentinelle de la frontière contre l’Orient... Cependant, je ne suis ni si éloigné, ni si fatigué que je ne puisse, à pleine poitrine, m’associer à ce cri d’allégresse : Vive l’empereur allemand ! » Jehan de Witte, Quinze ans d’histoire (1866-1881), d’après les Mémoires du roi de Roumanie, Plon, 1905 (p. 204).