Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exemples de sa race, il s’était appliqué à créer une armée et il attendait les événemens.

La Roumanie fit appel aux puissances, demandant leurs conseils et même une garantie de neutralité ; au fond, le prince Charles était résolu à prendre part à la guerre aux côtés de la Russie, mais il eût voulu vendre son concours le plus cher possible. Berlin, qui donne le ton, répondit : « que chacun se préserve comme il sait et croit le mieux[1], » D’autres y mirent plus de formes ; mais la pensée était semblable partout. La Roumanie se trouva donc abandonnée à elle-même. La Russie demandait impérieusement le passage pour ses troupes à travers la principauté. Dès le mois de septembre, Jean Bratiano, envoyé en mission auprès du Tsar, n’avait pas dénié le passage, mais il avait prétendu poser ses conditions. La Roumanie eût voulu, pour prix de son concours, s’assurer de la Bessarabie et obtenir un agrandissement vers la Bulgarie. Entre le prince Gortschakoff et Jean Bratiano, le dialogue fut vif ; Gortschakoff s’écria : — « Vous n’avez pas de conditions à nous poser ; sinon, la Russie, s’en référant aux traités en vertu desquels la Moldavie et la Valachie font parties intégrantes de l’Empire ottoman, envahira ces provinces sans autres formes. » — « Fort bien, riposta froidement Bratiano. Nous nous opposerions alors, par la force, à l’entrée des Russes sur le territoire roumain[2]... »

Vaines menaces ! La Roumanie n’avait pas le choix. Elle dut céder. Une convention du 16 avril 1877 régla les conditions du passage ; quant à la question de savoir si elle prendrait part à la guerre, elle se réservait encore.

Il y a quelque chose d’émouvant dans la situation de ce petit et vaillant peuple qui, à peine né, se retourne entre l’enclume et le marteau. Il n’ose même pas débattre les conditions de son

  1. Sous main, et par l’intermédiaire du kronprinz, Bismarck donna au prince des conseils plus effectifs « par intérêt personnel pour Son Altesse. » (Ibid., p. 270) : « Ne pas s’opposer sérieusement aux exigences de la Russie, invoquer un devoir vis-à-vis de la Porte au point de vue des convenances et céder ensuite à la force... La question du passage des armées russes doit être régularisée préalablement par un traité... Mais rien ne presse. « Or, cela pressait, et le retard fut une faute. Voyez, aussi, Mémoires du prince de Hohenlohe (t. II, p. 214).
  2. Quinze ans d’histoire, p. 267.