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concours éventuel avec le grand patron qui impose son amitié redoutable ; il n’ose pas lui demander de faire, d’avance, le partage des bénéfices, en cas de victoire commune. On craint que le lion ne traite en lion. Ce tourment se retrouve, malgré la froideur habituelle des documens diplomatiques, dans la circulaire de M. Kogalniceano, datée du 3 mai 1877 :


Quand l’Europe ne consulte que ses intérêts, quand on dit à la Roumanie : Lasciate ogni speranza, notre pays doit subir la force majeure et ne prendre conseil que de la terrible situation dans laquelle il est poussé contre sa volonté.


Ce langage anxieux étonnait la Russie ; elle croyait y discerner l’indice d’une « ingratitude » naissante chez les peuples balkaniques.

La Serbie n’avait jamais consulté que ses ambitions ; n’écoutant aucun avis, elle s’était jetée follement dans la bagarre et avait déchaîné les événemens. Maintenant, battue et mécontente, elle boudait, repliée sur elle-même. Le prince Milan était à la fois encombrant et inconsidéré. Le manifeste du Tsar, en avril 1877, avait informé la Serbie qu’elle était mise de côté ; on l’avait sacrifiée, dès Reichstadt, aux exigences de l’Autriche-Hongrie. Le grand projet d’un Empire serbe s’évanouissait. Ce n’était pas encore de ce côté qu’on trouverait de l’enthousiasme, ni des élans généreux.

Tout autre chose du Monténégro. Il était le Benjamin de la famille, le plus éloigné, le plus exposé et le plus aimé de tous les frères slaves. Sa forte situation dans les montagnes, avec accès sur l’Adriatique, permettant de prendre à revers toute la péninsule et faisant arche de pont vers les mers occidentales, donnait une valeur inappréciable à son dévouement. Mais il était si petit, si faible, surveillé et ligotté de si près par l’inquiétude autrichienne, qu’il devenait plutôt un embarras qu’un secours. Du moins, avec celui-là, c’était à la vie, à la mort. On comptait sur lui et on ne l’abandonnerait pas.

Il y avait, à l’extrémité de la péninsule, un autre « client » en bien mauvaise posture, c’était la Grèce. La Grèce était née à Navarin. La Grèce était en droit de rappeler aux grandes puissances de l’Europe « le rôle, qu’à son berceau, elles lui avaient réservé en Orient[1]. » Elle s’inscrivait, au premier rang, parmi

  1. Déclaration de M. Tricoupis, du 4 septembre 1877.