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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/255

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les héritiers de l’« homme malade. » Elle représentait la cause la plus sympathique, la plus célébrée, la plus chère au cœur de la civilisation occidentale, la cause de l’hellénisme. Donc, en cette crise imminente, elle se lèverait... Non ! Elle resta immobile presque jusqu’à la fin de la guerre.

La Grèce était plus frappée encore que la Serbie : un frère de religion, sinon de race, lui était né qui, subitement grandi et gros garçon, menaçait la part qu’elle s’était attribuée : c’était, parmi les Slaves, cet ignoré d’hier, le Bulgare. Les tsars avaient déjà notifié, à diverses reprises, à la Grèce qu’elle eût à se pourvoir ailleurs : on ne voulait pas d’elle à Constantinople et, même si elle se contentait de Salonique, on ne voulait pas d’elle à Salonique, Après des espoirs si vastes et si longtemps caressés, c’était un réveil affreux. Les Grecs ne sont pas très nombreux dans l’Empire turc, mais ils occupent les ports, les villes, les situations élevées, la fortune. L’hellénisme est plein d’ardeur et de zèle, il est animé d’un esprit de propagande et de sacrifices qui reste, malgré tant de traverses, un des spectacles d’énergie les plus réconfortans de l’histoire.

La Grèce, à l’étroit sur le continent, voudrait élargir et consolider son assiette ; la Grèce, fille de la mer, voudrait régner du moins sur l’Archipel, sur les îles, sur les ports où la vie hellène a survécu sous la domination ottomane. Mais elle est faible, mal bâtie, pauvre, médiocrement administrée ; elle n’a trouvé ni son Cavour, ni son Victor-Emmanuel. Elle est à la merci d’un coup de main par mer. Elle réclame ou convoite des points stratégiques d’une importance décisive et elle ne serait pas de force à les défendre. Qu’on lui livre la Crète : saurait-elle garder la Sude ?

Dans la crise de 1877-78, la Grèce, délaissée par la Russie, s’était retournée timidement vers les puissances occidentales, et notamment vers l’Angleterre. Celle-ci la réservait comme une carte à jouer dans la partie finale.

Restaient les Bulgares ! Ce peuple slave était si complètement abattu depuis des siècles que, malgré la grande étendue de territoire qu’il occupe, il était oublié. Quand, en quittant l’Europe, on arrivait à Sofia, on trouvait des gens vêtus à la turque, coiffés du turban ou du fez, et l’on saluait l’Orient. On ne savait guère que ces populations fussent chrétiennes et européennes. Accablées sous le joug, leur instinct national a survécu ; elles