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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/273

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puissances : une vaste Bulgarie à demi indépendante, constituée selon les proportions indiquées par la conférence de Constantinople ; l’indépendance du Monténégro, de la Serbie et de la Roumanie ; des réformes établissant une sorte d’autonomie en Bosnie et en Herzégovine ; une indemnité de guerre soit territoriale, soit pécuniaire. Quant à la question des Détroits, un engagement général et vague de la Turquie :


Sa Majesté le Sultan conviendrait de s’entendre avec Sa Majesté l’empereur de Russie pour sauvegarder les droits et les intérêts de la Russie dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles.


Ces conditions qui ont causé un si grand émoi en Angleterre, le chancelier les passe en revue avec une indifférence hautaine. L’Allemagne n’a, dans tout cela, qu’un intérêt : empêcher un conflit où serait engagée presque fatalement l’Autriche-Hongrie. Ménager les intérêts de l’Autriche-Hongrie, telle est la pensée qui ne quitte pas un instant l’esprit de l’orateur. « L’alliance des trois empereurs » est jetée, cette fois, franchement, par-dessus bord. Les relations de l’Allemagne avec la Russie sont plus sûres, assure-t-on, et plus fidèles que jamais ; le prince Gortschakoff est louange avec une emphase où l’on sent la griffe d’une formidable ironie. Les rapports de l’Allemagne et de l’Angleterre sont expliqués dans leurs nuances les plus finement assorties. Quant au rôle de l’Allemagne entre les puissances, — « il ne peut être celui d’un juge de paix ou d’un arbitre, mais, tout au plus, celui d’un médiateur et d’un honnête courtier qui veut mener réellement une affaire à bonne fin. »

Tout est ainsi lénifié, édulcoré, enrobé dans cette abondante et savante préparation : c’est un discours balancé, que les journaux anglais qualifieront le lendemain « d’étendu et de nuageux. » Trois fois, le prince de Bismarck a parlé, trois fois il a enroulé et déroulé les plis et les replis de son argumentation captieuse, avec les subterfuges et les entrelacemens de ses anecdotes, de ses aphorismes, de ses brutalités habituelles ; il a saisi et troublé son auditoire et l’Europe pour pouvoir, enfin, au milieu de cette étrange et profonde verbosité, glisser la phrase qui tranche le nœud du débat européen, non sans accepter le risque que cette même phrase fait courir à son pays.

Voici la phrase : « … Ce qui sera un changement apporté aux stipulations de 1856 aura besoin, sans doute, de la sanction