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qu’on n’a point ? » Si Lamartine récitait des discours appris par cœur, c’est une question que nous ne poserons même pas : elle est absurde. Nous nous en tiendrons au jugement d’un homme qui, ami de Lamartine et orateur de son école, savait à quoi s’en tenir. M. Émile Ollivier constate que « Lamartine orateur était grave plus qu’ému, solennel plus que pathétique. » Mais il s’empresse d’ajouter : « Par-dessus tout, il possédait la qualité supérieure de l’éloquence : il était improvisateur[1]. » C’était sa marque et c’est sa définition.

Reste à savoir comment procédait cet improvisateur. Remarquons-le d’abord, nul n’a eu plus que lui le respect, — et l’effroi, — de la tribune. Il avoue les premières fois avoir été « stupéfié » par les regards, l’attention, les interruptions. De chaque séance où il a pris la parole, il revient frémissant et dans l’impossibilité de trouver le sommeil. En aucun temps, il ne se croit assez maître de son instrument pour cesser de le perfectionner. « Vous auriez été content de moi, écrit-il à Michelet, si vous aviez assisté à nos séances. Je suis enfin parvenu à exprimer ma force, non approximative mais tout entière, et même à surpasser ce qu’en ce métier de parole j’attendais de moi-même… Vous ne vous faites nulle idée de mes petits progrès. Vous savez qu’on ne s’aperçoit pas de chaque pas qu’on fait en route ; mais, quand on s’arrête et qu’on regarde, on voit qu’on a beaucoup marché… Ils m’ont tous juré que deux nuits ils n’avaient pu dormir d’émotion. Jugez de ma propre insomnie… » Et il ajoute ce trait charmant : « Je vous parle comme un écolier qui a remporté un accessit. En vérité, c’est cela. Vous et moi, nous serons des écoliers jusqu’au dernier jour de notre vie : vivre, c’est apprendre[2]. » Est-il besoin de dire après cela que Lamartine orateur n’avait garde de se fier à sa facilité et à la chance du moment ?

Il parlait sur des notes : il fait souvent allusion à ces notes dans les lettres à Mme de Lamartine, jamais à une rédaction complète. Nous avons retrouvé un grand nombre de ces « notes de tribune. » L’examen en est curieux pour qui les rapproche du texte même du discours, tel que nous le lisons aujourd’hui. Prenons pour exemple un discours de la période où Lamartine est en pleine possession de sa maîtrise, celui qu’il prononça

  1. Émile Ollivier, Lamartine.
  2. Lettre à Michelet. — Monceau, 4 septembre 1837. (Collection de Noirmont.)