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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/362

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III

Voulez-vous les voir, réellement, et, si je puis dire, par vous-même ? Ce n’est pas toujours commode et cela coûte souvent fort cher ! Le voyage ainsi compris devient un extra non prévu dans les ordinaires programmes. Vous paierez en conséquence. Vous serez seul et désarmé contre la conspiration universelle des gargotiers et des guides qui vous tondront et vous écorcheront sans pitié. Mais enfin, c’est l’unique moyen de bien voir, et il est assez naturel qu’on y mette le prix. Vous voilà donc résigné d’avance à toutes les pirateries ! Vous vous lancez à l’aventure !... Alors, les désillusions commencent.

Sans doute, — à moins d’être tout à fait naïf, — nul ne s’étonne de traverser, à Constantinople ou au Caire, d’immenses quartiers absolument européens d’apparence ? On n’est pas surpris davantage de croiser, sur les trottoirs des avenues toutes neuves, ou de coudoyer, dans les bars, de jeunes effendis fort correctement habillés à la dernière mode de Londres ou de Paris. Cela, on s’y attendait plus ou moins. Mais c’est dans les quartiers populaires que la déception est cruelle.

On se faisait une fête de flâner dans les bazars. On les avait parcourus rapidement le jour de l’arrivée, et l’on avait gardé une vision confuse, autant qu’émerveillée, de ce papillotement de couleurs, de tout ce bariolage insolite pour des yeux occidentaux. On y revient, on s’accoutume à l’ambiance, on examine les choses et les gens d’un esprit plus rassis, et voilà qu’on s’aperçoit que le bazar oriental n’est plus guère qu’un souvenir.

Les petites échopes de la plèbe, comme les grands magasins pour touristes, sont envahis par une affreuse camelote, allemande, ou autrichienne, en général. C’est à faire frémir, quand on y regarde de près. Les contrefaçons ou les malfaçons indigènes surtout, dépassent tout ce qu’on peut imaginer en fait d’horreurs. Qui ne les connaît, ces plateaux de cuivre repoussés à la grosse, ou ciselés si sommairement qu’on s’écorche les doigts aux aspérités du métal ? Et ces cafetières si mal soudées qu’elles fuient par le fond et qu’on n’ose même pas s’en servir comme porte-bouquets ? Et ces petites tasses bancroches, qui ne veulent pas tenir sur leurs pieds ? Et ces chapelets de coquillages ou de verroteries que les âniers suspendent au cou de