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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/370

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et le tout a été mis en couleur : blanc et rouge sang de bœuf, comme une cabine de bains.


IV

On ne saurait trop le répéter : ces discordances sont affligeantes pour le nouveau débarqué. Le premier abord est plutôt rude, la désillusion souvent amère. Et pourtant, pourtant !... En dépit de tout, c’est toujours l’Orient ! Ce sont les Orientales menteuses, qui ont raison contre tous les démentis de l’expérience. Qu’importent les profanations du passé, la médiocrité du présent, les truquages impudens des agences, les bluffs des réclames ! Il y a des minutes où tout ce qui vous charma jadis dans les récits des voyageurs et dans les vers des poètes visionnaires, où l’Orient de la légende se dégage des réalités misérables et se remet à vivre devant vous, triomphalement.

Je suppose que vous veniez de traverser le Caire, en vous dirigeant vers le faubourg de l’Abassieh. Vous en avez assez de la Place de l’Opéra et du Jardin de l’Ezbekieh, de ses restaurans, de ses cinématographes et de ses petits théâtres. Les boutiques vulgaires du Mousky, ses poussières et ses puanteurs, la saleté, les boues croupissantes des ruelles populaires vous dégoûtent. Vous avez quitté le tramway, dépassé les derniers estaminets grecs et les dernières cambuses indigènes. Vous suivez un sentier qui se perd derrière l’Hôpital français, — et, soudain, vous voilà au milieu des sables...

C’est en juin, il est sept heures du soir, le soleil se couche... Tout de suite une roche invraisemblablement rose s’empare de vos yeux. Elle brille doucement en face de vous, parmi toute cette aridité, comme une énorme conque marine, oubliée sur une plage. Elle recueille, elle boit les splendeurs éparses de l’air... Puis, un contrefort grisâtre, coupé d’une brèche, à travers laquelle on distingue, au loin, les mornes étendues jaunes du Désert, puis la chaîne dénudée qui aboutit à la citadelle du Mokattam.

Au centre, trois mosquées funéraires, où sont ensevelis des émirs. Les édifices délabrés se transfigurent aux feux du couchant, les coupoles brillent, comme des sphères de vermeil, et la masse des architectures se détaché en noir sur le fond pâle des éminences sablonneuses et de la vaste plaine désertique.