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par cette clandestinité. Les conseillers-rapporteurs avaient des secrétaires, chargés de recevoir les « productions » respectives des parties et de résumer les liasses produites. Les plaideurs, dont ils recevaient l’argent sous main, faisaient leur fortune ; plus que celle des avocats grossoyeurs de factums, dont le salaire se réglait sur le nombre de « grosses : » appointemens en droit, à écrire, produire et contredire, appointement au conseil et en droit, et joint, appointement à mettre pour les provisoires, les délibérés, etc. Tout cela valait 7 francs le rôle, et, si l’on comptait par « vacation, » elles étaient d’une heure et se payaient 27 francs ; en théorie du moins, car en pratique c’était tout autre prix et beaucoup moindre.

Pour les plaidoiries, la taxe du moyen âge était désormais sans importance ; elle ne servait plus qu’à indiquer la somme que le perdant devra remettre au gagnant pour l’indemniser des frais d’avocat, quels que fussent les honoraires effectivement payés. Ceux-ci ne dépendaient plus que de la générosité du client et des exigences du défenseur ; puisque, comme dit Linguet de ses confrères, « la délicatesse dont ils se targuent est une charlatanerie ; ils rougiraient de demander leur salaire après des services rendus, mais ils les font payer d’avance. » Il y eut au XVIIIe siècle fort peu d’actions en règlement d’honoraires ; celle que Linguet intenta au duc d’Aiguillon fit scandale : « Ayant, disait-il, trouvé le duc entre le trône et l’échafaud, il l’avait rapproché de l’un et éloigné de l’autre, » et, pour y parvenir, avait travaillé dix-huit mois et composé trois ouvrages énormes. Il avait reçu 23 300 francs (en 1770) et réclamait près du quadruple. En général, il était déjà de police au barreau que les honoraires devaient être « offerts » spontanément et, pas plus qu’aujourd’hui, il n’en était donné quittance.

On ne peut donc citer que des chiffres exceptionnels, parvenus à la postérité dans la brume de la légende : tel est le conte de Me Duvaudier, à qui un laquais vient dire à la levée de l’audience que « sa voiture l’attend, » et qui trouve en effet devant la porte, attelé de deux chevaux et conduit par un cocher à sa livrée, un carrosse, sous les coussins duquel avait été glissé un contrat de 9 000 francs de rente viagère, offert, ainsi que l’équipage, par une cliente reconnaissante. Cet honoraire, « du meilleur goût, » comme dit Berryer, est lui-même dépassé par les 200 000 francs que le marquis de Bussy aurait donnés à