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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/421

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presque uniquement à la quantité ; cépages à gros rendemens, triomphe de l’Aramon, fumures intensives, tailles à longs bois, arrosages, exploitation scientifique. Résultats de cette fâcheuse orientation : le goût du consommateur et du commerçant perverti, le sol et la vigne surmenés pour obtenir un maximum de récolte, création d’un vin sans saveur, sans arôme, d’un vin défectueux, qui ne se conserve pas, qu’on n’avait aucune raison de préférer au vin artificiel que l’œnologie rendait agréable et hygiénique, et qui devait fatalement appeler la mévente, c’est-à-dire une difficulté pour le récoltant de vendre, lorsque se manifesterait un trop sérieux écart entre la production et la consommation.

À ces reproches trop fondés, on peut sans doute objecter que la fièvre de plantation a gagné pas à pas les autres régions de la France, amorcées, elles aussi, par la perspective de beaux dividendes, qu’il y a de mauvais vins ailleurs que dans le Midi. D’ailleurs, le Centre, l’Ouest, le Sud-Ouest ont eu de bonnes raisons pour entrer en concurrence avec le Languedoc, car ils ne supportent que 400 à 500 francs de frais par hectare, tandis que le Midi en a 7 à 800 au moins ! « Si l’on excepte les coteaux à grands vins, remarque M. Prosper Gervais, on peut dire que la viticulture, semblable à un grand vaisseau, a obéi tout entière au coup de barre du Midi qui l’orientait vers la quantité[1]. »

Le mode d’exploitation en Languedoc le plus usité est le faire-valoir direct ; les grandes propriétés sont en général administrées par un régisseur ou maître d’affaires, ce qui permet à leurs possesseurs de pratiquer un demi-absentéisme, tout en conservant la direction de leurs domaines. Deux classes d’ouvriers : les domestiques logés et nourris à la ferme, les journaliers

  1. Un distingué viticulteur de la Côte-d’Or, M. Gaston Liégeard, me fournit ces chiffres qui ont leur intérêt comparatif. Dépenses d’un hectare de vin ordinaire : culture 360 francs ; traitemens anticryptogamiques, 30 ; échalas, 45 ; frais de vendanges et vins, 200 ; engrais, 300 ; frais de cave, 60 (déduire les frais de culture et une partie de ceux de vendanges quand le petit propriétaire fait lui-même le travail sans recourir à la main-d’œuvre étrangère). Pour les vins fins, ajouter le prix des tonneaux neufs, environ 440 ; soit à peu près 1 500 francs de frais annuels. Le prix d’un hectare de vigne varie de 4 000 à 15 000 francs pour les vins ordinaires et moyens ; pour les grands crus, l’hectare atteint et parfois dépasse 60 000 francs. Les vins ordinaires sont tombés à 60 et même 40 francs la barrique de 228 litres ; les bons vins moyens, dans les années heureuses comme 1904, 1905, vont de 200 à 400 francs. Pour les grands crus, si l’année est excellente, 1 000 francs et plus la barrique ; si mauvaise, 150 à 200 francs. Production moyenne à l’hectare ; 25 pièces de vins ordinaires, bons vins 15 pièces.