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heureuse et trop rare exception. D’une manière générale, les régions à vin rouge commun (paluds) ou les Graves, — dont la production est trop faible, — subissent le contre-coup de la gêne méridionale. Aussi, sans crier leur détresse, beaucoup de propriétaires arrachent-ils les vignes qui ne paient plus. C’est dur, mais c’est sage... »

Un grand négociant girondin écrit : « ... Tout ce qui contribue à faire le vin augmente, les impôts, la main-d’œuvre ; les drogues à infuser à la vigne du 1er janvier au 31 décembre, soufre, sulfate de cuivre, sulfate de fer, etc., se vendent chaque année de plus en plus cher, les barriques, les frais de vendanges, messieurs les vendangeurs faisant aujourd’hui la loi... Quant aux prix ? Les grands crus, divisés en cinq classes, se vendaient autrefois, suivant la classe, de 1 400 à 5 000 francs le tonneau (quatre barriques) dans les années chères, — de 900, 1 200 à 3 500, 3 800 dans les années bon marché. Maintenant ils vont suivant les années de 450 à 1 500, 2 000. Et, à ces prix-là, nous avons bien plus de difficultés aujourd’hui pour les écouler, qu’au temps où nous payions le double et plus. Ah oui ! Il y en a des domaines à vendre, mais qui voudrait les acheter, sauf à vil prix ? J’en connais même que, pour rien, je ne voudrais pas, le rendement n’y couvrant point les frais de culture et l’intérêt du capital... »

Au reste les crises viticoles sont de tous les temps. Ainsi un édit de Domitien ordonna l’arrachage des vignobles ; à d’autres époques le pouvoir crut devoir réglementer la plantation. Arthur Young constate que la vigne en France enrichit et appauvrit tour à tour ses maîtres ; aux années de déficit correspondent des prix rémunérateurs, et aux années d’abondance des prix inférieurs. La vigne, plante capricieuse, donne des rendemens irréguliers, passant brusquement de 26 à 50 millions d’hectolitres.

Que les viticulteurs du Midi soient les principaux artisans de la mévente dont ils se plaignent si amèrement, et qu’ils exagèrent un peu, cela ne fait pas doute pour ceux qui examinent sans parti pris la question ; qu’ils ne soient pas les seuls coupables, rien de plus certain. Mais leurs orateurs ont eu l’habileté d’escamoter les torts de leurs cliens, de donner le change à l’opinion publique attendrie par le spectacle d’une misère trop réelle. On accuse presque uniquement l’Etat, la fraude, la surproduction,