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ci devant, vu l’extrême affluence des curieux. Cela fait que je n’en puis donner que deux. Mais M. le major m’ayant fait dire que la porte serait ouverte aux personnes que je mènerais avec moi, je ne doute point qu’il n’ait la même complaisance pour celles que je chargerais d’une lettre, et j’en donnerai une à ceux pour qui vous vous intéressez, s’ils la désirent, vu que l’heure et mon indisposition ne me permettent pas d’aller moi-même.

Bonjour, chère cousine, je suis si fort pressé que je ne sais ce que j’écris. Mais je crois lire trop bien dans votre excellent cœur pour que vous ne lisiez pas un peu dans le mien. Ma femme vous embrasse avec la même tendresse que son mari, c’est tout dire.


A Madame de Lessert, à Lyon.


A Paris (le reste de la date est déchiré)[1].

Votre lettre, chère cousine, m’a épanoui le cœur, et les témoignages de votre souvenir m’ont bien fait sentir qu’il sera le même pour vous toute ma vie. Quoique j’eusse assez exactement de vos nouvelles par la bonne maman, je sentais toujours qu’il me manquait quelque chose qui ne me manque plus depuis votre lettre.

Que Dieu vous le rende, mon aimable amie ; pour moi, je vous le rends bien de tout mon pouvoir. Que je me réjouis pour le bon papa qu’il vous ait eu auprès de lui vous et votre fille pour aider aux chères nièces à lui faire supporter les maux attachés à la vie déclinante. Quel dommage que cet excellent homme, si digne de toutes les consolations, n’en goûte qu’autour de lui et de celles qu’il faudra qu’il laisse, et qu’il n’emporte pas avec sa vertu l’espoir d’en trouver le prix, qu’il ne laissera pas de trouver sans doute, mais dont l’attente n’aura point embelli ses derniers jours !

Vous avez fait une autre œuvre de miséricorde non moins précieuse auprès de ma pauvre tante, que je pourrois appeler ma mère par tous les soins maternels qu’elle a pris de moi dans mon enfance. Ah ! si vous eussiez connu alors cette excellente

  1. Cette lettre, qui n’existe plus qu’en copie, doit être de novembre 1770. Elle fut en effet, comme on va voir, remise aux frères de Lessert, qui durent quitter Paris le 27 novembre 1770 (voir lettre de Rousseau à Mme Boy de la Tour du 26 novembre, éd. Rothschild).